La pollution du trafic routier coûte des milliards aux villes européennes en perte de bien-être

Cinq ans après le scandale du Dieselgate, de nouvelles études ont chiffré les coûts sociaux engendrés par les émissions de véhicules dans les zones urbaines les plus polluées d'Europe.

Published On: octobre 27th, 2020
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La pollution du trafic routier coûte des milliards aux villes européennes en perte de bien-être

Cinq ans après le scandale du Dieselgate, de nouvelles études ont chiffré les coûts sociaux engendrés par les émissions de véhicules dans les zones urbaines les plus polluées d’Europe.

À l’occasion du cinquième anniversaire du Dieselgate, une nouvelle étude a montré que 130 millions d’habitants des plus grandes zones urbaines européennes ont payé des coûts sociaux de plus de 166 milliards d’euros par an à cause de la pollution du trafic routier.

Cette étude a été commandée par l’Alliance européenne pour la santé publique (EPHA), un réseau d’ONG nationales de santé, et menée par le cabinet de conseil en environnement CE Delft. Les chercheurs ont pu estimer la valeur monétaire de l’impact sanitaire des polluants émis par les véhicules de 432 villes européennes dans 30 villes (les 27 États membres en plus du Royaume-Uni, de la Norvège et de la Suisse). Ils ont utilisé comme référence les concentrations de polluants déclarées et d’autres données datant de 2018. En moyenne, chaque ville paye 385 millions d’euros de dommages annuels. Les résultats peuvent varier en fonction des années.

La majeure partie de la pollution due au trafic provient des voitures et des camions diesel qui, comme il a été constaté suite aux fraudes de Volkswagen en 2015, dépassent les limites fixées par l’UE pour le dioxyde d’azote (NO2). De plus, les modèles diesel conçus avant l’élaboration de la norme Euro 6 émettent généralement plus de particules en suspension (PM) que les autres types de moteurs à combustible fossile. Pourtant, ils représentent actuellement la majorité des véhicules européens. Le diesel est donc en grande partie responsable des dommages recensés dans l’étude, y compris lorsqu’il dépasse les plafonds d’émission légaux.

Les coûts sociaux mesurent la diminution globale du bien-être des citoyens, qui est communément défini par le fait de mener une vie saine dans un environnement salubre pendant une longue période. Le taux de bien-être est affecté par la mortalité prématurée ou la morbidité (maladie), qui contribuent respectivement à 76,1 % et 23,9 % des dommages constatés dans les zones européennes prises en compte par l’étude. Les coûts sociaux comprennent les pertes qui peuvent être directement monétisées sous forme de dépenses de santé (par exemple, les admissions à l’hôpital), ainsi que les pertes qui ne peuvent être quantifiées qu’indirectement, en fonction du montant que les gens sont prêts à payer pour les éviter (par exemple, une espérance de vie réduite). 

La taille de la ville, combinée au niveau de pollution, est un facteur clé dans les coûts sociaux globaux. En effet, plus la population est grande, plus le nombre de citoyens qui demandent des jours de congés ou sont admis à l’hôpital à cause d’une maladie liée à la pollution augmente. Londres est la ville qui enregistre la perte de bien-être la plus importante : les 8,8 millions de Londoniens paient un total de 11,38 milliards d’euros. La capitale du Royaume-Uni est suivie par Bucarest (6,35 milliards d’euros), Berlin (5,24 milliards), Varsovie (4,22 milliards), Rome (4,11 milliards), Paris (3,50 milliards), Milan (3,50 milliards), Madrid (3,38 milliards) et Budapest (3,27 milliards). Au total, ces villes représentent près de 25 % des dommages enregistrés pour l’ensemble des 432 villes.

Il existe un écart considérable entre les villes en termes de dépenses annuelles, à la fois par habitant et en terme de revenu local. En moyenne, chaque habitant d’une ville européenne subit une perte de bien-être de plus de 1276 euros par an, ce qui équivaut à 3,9% du revenu moyen des citadins. Bucarest enregistre la perte de bien-être la plus grande par habitant, avec plus de 3000 euros, alors que Santa Cruz de Tenerife dans les Canaries espagnoles détient la plus petite, avec moins de 400 euros. Dans les plus grandes capitales européennes, les citoyens ont perdu 6,2% à Londres, 4.8% à Paris, 3.8% à Berlin, 3.1% à Madrid et 2.4% à Rome de leurs revenus annuels. Les coûts sociaux les plus élevés en lien avec la santé, entre 8 à 10% des revenus des citoyens, sont détenus par les villes d’Europe centrale et d’Europe de l’est, notamment en Bulgarie, en Roumanie et en Pologne.

« Les recherches ont prouvé que la réduction de la pollution de l’air pourrait réduire drastiquement les dépenses des citoyens en soins de santé. La baisse des émissions du transport routier dans les villes européennes devrait faire partie des priorités, afin d’améliorer le bien-être des citadins européens », a déclaré Zoltán Massay-Kosubek, responsable politique de l’EPHA. « La pandémie actuelle n’a fait que le mettre en évidence, puisque certaines maladies mortelles liées à la pollution de l’air ont contribué aux décès de patients atteints de la COVID-19. »

L’étude se concentre uniquement sur trois polluants : les particules en suspension (PM), le dioxyde d’azote (NO2) et l’ozone troposphérique (O3), qui sont respectivement responsables de 412 000, 71 000 et 15 000 morts prématurées en Europe, selon le dernier rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE). Le diesel joue un grand rôle dans la formation de ces polluants.

En effet, les gaz d’échappement des véhicules diesel émettent plus d’oxydes d’azote (NOx) que ceux des véhicules à essence. Une partie des NOx se transforme en NO2 lorsqu’elle entre dans l’atmosphère, tandis qu’une autre partie réagit avec des composés organiques volatils, générant indirectement des PM et de l’O3 secondaires.

Les chercheurs ont constaté que les particules (y compris la petite particule PM2,5 et la plus large PM10) sont à l’origine de la majorité des coûts sociaux.

En moyenne, sur l’ensemble des 432 villes, les PM2,5 et les PM10 représentent 82,5% des dommages totaux, tandis que le NO2 et le O3 contribuent respectivement à 15% et 2,5%. Cependant, les chiffres diffèrent considérablement d’une ville à l’autre. Par exemple, les PM2,5 et les PM10 ont contribué à 60,1% des dommages de la ville de Funchal, au Portugal, et à 94% à Narva, en Estonie. L’One joue pas un très grand rôle, avec 0% dans les villes estoniennes de Tallinn, Tartu et Narva et 7,6% à Cáceres en Espagne. Quant à la contribution du NO2, elle va de 4,8% à Palencia, en Espagne, à 34,4% à Funchal, au Portugal.

D’autres polluants ayant des effets néfastes sur la santé, comme les particules ultrafines, le carbone noir, les hydrocarbures aromatiques polycycliques et les métaux lourds, n’ont pas été pris en compte par les chercheurs en raison d’un manque de données cohérentes. Certaines grandes villes européennes disposent d’un nombre limité de stations de surveillance des PM, du NO2 et du O3, ce qui entraîne une sous-estimation de la pollution atmosphérique. Les coûts sociaux sont donc en réalité beaucoup plus élevés.

Si on la compare à de précédentes analyses souvent plus détaillées, l’étude présente deux avantages : le grand nombre de villes prises en compte, et sa méthodologie fiable et normalisée. Celle-ci isole et évalue l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique due au trafic tout en excluant d’autres sources de pollution urbaine (principalement le chauffage domestique, l’agriculture et l’industrie). Toutefois, si l’on tient compte de toutes les variables du modèle de l’étude, la marge d’incertitude est d’environ 30 à 40 %. Cela signifie que les données rapportées dans l’étude pourraient constituer un facteur de 1 à 3 inférieur ou supérieur.

L’étude a utilisé des indicateurs coûts-avantages largement reconnus, mis au point par des économistes de l’environnement, pour chiffrer les coûts sociaux indirects. Autrement dit, les dépenses qui ne sont pas financières. Ces indicateurs fournissent une estimation de la somme que les individus seraient prêts à payer pour empêcher des répercussions néfastes qui n’ont pas de prix de marché. Ces estimations sont basées, entre autres, sur la volonté des citoyens de payer un loyer plus élevé si cela signifie vivre dans une zone urbaine moins exposée à la pollution, ou de choisir une assurance plus chère si cela leur permet d’avoir accès à de meilleurs services de santé. Quant aux évaluations monétaires, les indicateurs montrent que la prévention de la mortalité infantile n’a pas la même valeur que la prévention des maladies incurables (telles que les maladies pulmonaires chroniques), etc. En chiffrant et en comparant les impacts directs et indirects sur la santé entre les différentes villes, on peut avoir un aperçu plus objectif de la façon dont une mauvaise qualité de l’air réduit drastiquement le bien-être à l’échelle locale.

L’étude démontre également que les politiques de transport jouent sur le montant que les citoyens dépensent pour la pollution de l’air. Par exemple, une augmentation de 1% de la durée moyenne du trajet en voiture pour se rendre au travail augmente les dommages causés par les PM10 de 0,29 %. Ce taux est deux fois plus élevé pour les NO2 (0,54%), ce qui confirme que les émissions de diesel sont un fardeau en terme de santé. Si l’on faisait en sorte de réduire de 1% le temps que les conducteurs passent dans leur voiture diesel, par exemple en leur interdisant d’accéder aux centres-villes, les 432 villes économiseraient au moins 148,3 millions d’euros. Les citoyens bénéficieraient d’une réduction de la pollution de l’air d’une valeur de 13,16 millions d’euros à Londres, 15,64 millions à Paris, 3,93 millions à Berlin, 3,67 millions à Madrid et 3,83 millions à Rome. Une augmentation de 1% du nombre de voitures dans une ville augmente les coûts sociaux de près de 0,5 %. 

Ces conclusions sont un signal d’alarme pour les citoyens et les autorités locales : elles montrent que la réduction des trajets domicile-travail et de la motorisation a un impact positif sur la qualité de l’air et le bien-être des citadins. « Les coûts sociaux de la pollution de l’air en lien avec la santé devraient être évalués par les responsables des politiques de transports au sein des conseils municipaux. En particulier lors de la replanification nécessaire de la mobilité urbaine, et de la transition vers des alternatives à émissions zéro ou faibles plutôt que des moteurs à combustion interne polluants comme le diesel », a déclaré M. Massay-Kosubek. « L’étude montre clairement que les décisions politiques en matière de transports urbains non-polluants ne peuvent plus attendre, afin d’améliorer le bien-être des citoyens ».

Méthodologie

  • L’étude rapporte 16 impacts sur la santé, que l’on peut attribuer aux concentrations de pollution de l’air causés par les particules en suspension (PM), le dioxyde d’azote (NO2) et l’ozone troposphérique (O3).
  • Basés sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les impacts physiques de la pollution atmosphérique sur la santé humaine ont été quantifiés à l’aide de fonctions concentration-réponse qui déterminent le taux d’augmentation de la mortalité et de la morbidité, en lien avec l’accroissement de concentration des différents polluants.
  • Les impacts physiques ont ensuite été chiffrés à l’aide d’un cadre d’évaluation élaboré dans le Manuel des coûts externes, un recueil d’études spécialisé, publié par la Direction générale de la mobilité et des transports de la Commission européenne (DG MOVE).
  • Les coûts sociaux d’une ville donnée ont ensuite été calculés à partir des niveaux de pollution atmosphérique qui y sont signalés, ainsi que de la taille, de la structure par âge et du niveau de vie (prix et revenus) de la population de la ville.
  • L’étude a seulement pris en compte les impacts indiqués par l’OMS, mais des recherches récentes ont prouvé de manière convaincante qu’il existait d’autres effets néfastes de la pollution atmosphérique sur la santé.
  • L’étude fait une estimation des coûts sociaux engendrés par la qualité de l’air déclarée par les villes, en utilisant des données de l’Audit urbain d’Eurostat, sans avoir eu toutefois la possibilité de vérifier si les données déclarées étaient correctes. L’utilisation des données de l’audit urbain implique également que les villes étudiées doivent être considérées comme des « zones urbaines » car, dans certains cas, ce sont ces zones qui sont utilisées dans les calculs plutôt que les villes administratives.
  • L’étude est uniquement focalisée sur la pollution extérieure. La pollution intérieure, comme celle des foyers ou des transports publics, n’est pas prise en compte.
  • L’étude ne couvre que les coûts de la pollution atmosphérique liés à la santé, et non les autres coûts tels que la dégradation des écosystèmes ou les impacts sur les bâtiments et les matériaux qui doivent être entretenus plus souvent.

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