Une Europe de moins en moins fertile
Les sols sont de plus en plus menacés alors qu'ils remplissent des fonctions délicates et essentielles : à l’érosion et à la contamination s'ajoute l'occupation artificielle des sols, qui augmente dans de nombreuses régions d'Europe. Mais il est encore possible de réduire l'artificialisation des terres.
Une Europe de moins en moins fertile
Les sols sont de plus en plus menacés alors qu’ils remplissent des fonctions délicates et essentielles : à l’érosion et à la contamination s’ajoute l’occupation artificielle des sols, qui augmente dans de nombreuses régions d’Europe. Mais il est encore possible de réduire l’artificialisation des terres.
Souvent maltraités, les sols reviennent régulièrement au cœur des grandes préoccupations mondiales et font l’objet de campagnes internationales en vue de réclamer leur protection. À l’occasion de la Journée mondiale des sols, le 5 décembre dernier, la FAO a de nouveau attiré l’attention sur la pollution des terres dans le monde. Selon cette organisation des Nations Unies, 33 % des terres sont dégradées au niveau mondial.
Pourtant épaisse de quelques centimètres à peine, la terre, cette « peau du monde », remplit des fonctions essentielles à la vie sur la planète. À cet égard, il suffit de penser que les sols abritent un quart de toute la biodiversité du monde. Ils fournissent également des nutriments qui permettent aux plantes de pousser, constituent une réserve de carbone organique et d’autres matières premières et sont capables d’absorber le dioxyde de carbone, ce qui atténue le changement climatique. Enfin, les sols protègent le patrimoine géologique et archéologique et apportent un soutien incontournable aux activités humaines, notamment l’agriculture.
Le Global Land Outlook, un rapport publié par les Nations Unies en 2018, analyse l’état des sols au niveau mondial sur une période allant de 1998 à 2013. Hormis les déserts, il en ressort que 22 millions de kilomètres carrés de la surface terrestre connaîtraient une baisse de productivité, 20 % des terres ne pouvant plus produire comme auparavant.
Ce problème affecte 5 % de la surface de l’Europe, un pourcentage auquel s’ajoutent 10 % de terres soumises à un stress important. Ce sont surtout les terrains agricoles qui se dégradent : en Europe, continent le plus touché en termes de pourcentage, 18 % des terres cultivées connaissent une baisse de rendement. Ce phénomène est particulièrement sensible dans les régions riveraines de la mer Noire, ainsi que sur le pourtour méditerranéen, où les terres font l’objet d’une exploitation intensive et où les zones urbaines ne font que s’agrandir.
Quelles menaces pèsent sur les sols ?
Dans son rapport « Living Planet 2018 », le WWF énumère les menaces auxquelles sont exposés les sols à l’échelle mondiale : la contamination et la pollution, l’agriculture intensive, l’érosion, la désertification et le changement climatique. Les zones les plus à risque sont celles où l’anthropisation est la plus importante, comme l’Europe. Ce rapport indique également que les sols de notre continent présentent un risque modéré à élevé, à l’exception des zones les moins peuplées, comme le nord de l’Europe et les Alpes.
En Europe, le Centre européen de données sur les sols (ESDAC), créé par la Commission européenne, étudie spécifiquement l’état des sols. Ce centre concentre son attention sur les principales menaces pesant sur la santé des sols, telles que la perte de carbone organique, la salinisation et la contamination ; l’érosion due à l’eau ou au vent et le compactage ; l’artificialisation des sols et leur imperméabilisation.
En ce qui concerne l’altération de la composition chimique des sols, les données les plus récentes sur la diminution de la teneur en carbone organique datent de 2008. Selon l’étude que vient de publier la FAO, ce problème est particulièrement aigu au nord et à l’est de l’Europe. La salinisation, qui est l’accumulation de sels de sodium et de magnésium, réduit également la fertilité des terres. Les produits polluants provenant des activités humaines contaminent ensuite les sols et réduisent leur capacité de fonctionnement.
Le problème de l’érosion
L’Agence européenne pour l’environnement (AEE) affirme que l’érosion est l’un des principaux facteurs qui mettent sous pression les multiples fonctions des sols. Ce phénomène peut résulter de l’action du vent et de l’eau mais peut aussi s’aggraver en raison du compactage des terres, qui a pour effet d’en réduire la porosité et la perméabilité, ce qui empêche l’eau de s’écouler et de s’infiltrer correctement.
Sur son site, l’AEE s’appuie sur des données de 2006 pour expliquer que l’érosion due à l’eau est un phénomène qui touche plus particulièrement les régions du sud et de l’est de l’Europe. En revanche, ces dernières sont moins exposées à l’érosion provoquée par le vent.
Néanmoins, l’impact de l’érosion due à l’eau a diminué un peu partout en Europe au cours des dernières années – si bien que, en moyenne, elle aurait chuté de 9 % en dix ans. Selon les rapports publiés par l’Union européenne, le sol bénéficierait des mesures spécifiques adoptées dans le cadre de la politique agricole commune ainsi que des stratégies thématiques prévues pour protéger la santé des sols.
Artificialisation des sols : un besoin de clarté
En ce qui concerne l’artificialisation des sols, le tri doit d’abord être fait entre les différentes définitions disponibles sur le sujet. Plusieurs expressions sont parfois employées indifféremment mais ne sont en aucun cas des synonymes, comme le précise Luca Montanarella, expert de haut niveau auprès du Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne.
Il convient de faire la distinction entre différents types de sols. L’« artificialisation des sols » (land take en anglais) est le fait de rendre artificielles des zones naturelles ou semi-naturelles, en y construisant des immeubles, des infrastructures ou des routes. Mais tous les terrains urbains ne sont pas bâtis et seule une infime partie d’entre eux est vraiment imperméabilisée : il s’agit d’un problème spécifique appelé l’« imperméabilisation des sols » (soil sealing en anglais).
D’après les estimations publiées par la Commission européenne, la surface artificialisée, ou urbanisée, chaque année en Europe équivaut à celle de la ville de Berlin, soit près de 100 000 hectares. Il est encore difficile de quantifier l’artificialisation des sols en raison de l’absence d’un système unique de mesure au niveau européen, voire au niveau national.
Cette situation rend difficile toute comparaison ou agrégation des données. Quelles sont les solutions utilisées ? La FAO contrôle l’occupation des sols en s’appuyant sur les statistiques nationales ; Eurostat a recours aux mêmes sources mais les complète en menant ses propres recherches ; en revanche, l’Agence européenne pour l’environnement se fonde sur les observations par satellite et les données recueillies par les agences nationales de protection du territoire.
Les sols européens sont de plus en plus imperméabilisés
S’il existait une échelle de gravité des menaces pesant sur les sols, l’imperméabilisation occuperait la première place. Les fonctions des terres touchées par ce problème sont en fait sérieusement mises en cause. En 2006, l’Union européenne insistait déjà sur la nécessité de réduire l’imperméabilisation afin de neutraliser les effets plus graves et irréversibles de l’artificialisation des sols. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne a énuméré, dans un rapport publié en 2012, toute une série de pratiques visant à limiter, atténuer et compenser le processus d’imperméabilisation des sols en Europe.
Selon les spécialistes en la matière, l’imperméabilisation des sols est liée à la façon dont les constructions et les villes sont aménagées. Ainsi, par exemple, la situation pourrait s’améliorer en récupérant les espaces abandonnés, en agrandissant les zones vertes et en recouvrant les routes et les parkings de matériaux perméables.
L’Agence européenne pour l’environnement suit l’évolution de l’imperméabilisation des terres en se fondant sur des observations par satellite et des informations fournies par la base de données européenne sur l’occupation des sols. Les plus forts taux d’imperméabilisation sont enregistrés à Malte, au Benelux et en Allemagne, tandis que le problème est moins présent dans les pays du nord (à l’exception du Danemark) et dans les Balkans occidentaux.
Entre 2006 et 2012, la surface des sols imperméabilisés a augmenté dans presque tous les pays européens, particulièrement dans le bassin méditerranéen, à l’exception de la Croatie, de la Serbie, du Monténégro et du Kosovo.
L’urbanisation se développe
Alors que l’imperméabilisation entraîne une dégradation presque irréversible des terres, l’occupation artificielle des sols – c’est-à-dire la surface des terres utilisées pour les activités humaines, exprimée en kilomètres carrés – est une menace dont on peut encore inverser le cours.
Selon Eurostat, l’occupation artificielle a augmenté un peu partout dans l’Union européenne au cours de la dernière décennie. Cette augmentation a été particulièrement importante en Grèce, au Luxembourg et en Belgique entre 2009 et 2012. Après un temps d’arrêt dans ces trois pays entre 2012 et 2015, l’occupation artificielle a néanmoins repris de plus belle dans la plupart des autres pays de l’UE.
Selon les analyses menées par l’Office statistique de l’Union européenne, l’urbanisation croissante est associée à l’augmentation de la population. Les rapports européens précisent néanmoins que les zones urbaines se développent à un rythme plus rapide que l’évolution du nombre d’habitants : en Europe, des années cinquante à nos jours, la surface urbanisée a augmenté de 78 %, contre un accroissement de la population de l’ordre de 33 %. Cet écart est dû à d’autres facteurs jouant un rôle dans l’occupation artificielle des sols, comme le développement économique, l’évolution des modes de vie et l’extension des zones construites en dehors des villes.
Un destin scellé ?
Le destin des sols européens est-il scellé ? Une lueur d’espoir provient des chiffres sur l’artificialisation nette des sols, c’est-à-dire la transformation, exprimée en hectares, de terres naturelles ou semi-naturelles en terres artificielles, et inversement. L’objectif de l’Union européenne consiste à atteindre zéro artificialisation nette des sols d’ici à 2050, en réalisant les constructions sur des surfaces déjà imperméabilisées, en réhabilitant les zones industrielles et en arrêtant l’expansion des villes.
D’après les données collectées par Eurostat, l’artificialisation nette des sols a diminué dans les pays de l’Union européenne entre 2000 et 2006, à la différence des autres phénomènes observés, qui ont été marqués par une détérioration progressive de la situation. Il ressort des données de l’Agence européenne pour l’environnement que l’artificialisation des sols a continué de diminuer au moins jusqu’en 2012, grâce à un aménagement plus limité des surfaces artificielles et à la conversion croissante de terrains urbains en zones vertes.
Le modèle établi par le Centre commun de recherche indique que pour atteindre l’objectif fixé par l’Union européenne d’ici à 2050, l’artificialisation annuelle des sols ne devrait pas être supérieure à 1,6 mètre carré par habitant. Le rapport intitulé « No net land take by 2050? », publié par la Commission européenne, énumère des bonnes pratiques permettant d’obtenir ce résultat, comme la création de parcs agricoles, sur le modèle de ceux aménagés dans la région de Barcelone, ou la réalisation de villes compactes, comme à Copenhague.
Cet article est publié en collaboration avec Osservatorio Diritti. Lorenzo Ferrari a contribué à la rédaction de cet article.