Une Europe à plusieurs vitesses
Crèches ou grands-parents ? Les modes de garde préscolaire varient beaucoup selon les pays, avec des conséquences importantes sur la parité.
Une Europe à plusieurs vitesses
Crèches ou grands-parents ? Les modes de garde préscolaire varient beaucoup selon les pays, avec des conséquences importantes sur la parité.
Investir dans la petite enfance, c’est bon pour la société dans son ensemble. Tel est en tout cas le credo que les institutions européennes, qui peuvent s’appuyer sur un large consensus scientifique, répètent depuis le début des années 2000. La création de places d’accueil pour les jeunes enfants, que ce soit dans des structures collectives d’éveil (crèches, jardins d’enfant…) ou de préscolarisation, est en effet supposée avoir (au moins) trois vertus.
Elle est tout d’abord favorable à l’égalité femmes-hommes, en contribuant à libérer les premières des tâches parentales auxquelles elles restent largement assignées. De la même manière, ces politiques sont un instrument efficace de lutte contre la pauvreté, en permettant à nouveau aux femmes – en particulier les moins qualifiées – de ne pas décrocher du marché du travail et de faire de meilleures carrières.
Elles peuvent enfin contribuer à lutter contre l’échec et les inégalités scolaires. Les modes de garde collectifs et la préscolarisation sont censés favoriser le développement des capacités cognitives, d’expression et la confiance en soi des enfants, ce qui contribue à les préparer aux attentes de l’école. Or moins d’échec scolaire, c’est moins de difficultés sur le marché du travail et, donc, un risque de pauvreté à l’âge adulte atténué.
Triplement bénéfiques, les politiques de petite enfance sont souvent présentées comme un « investissement social » : même si elles sont coûteuses, elles peuvent s’avérer « rentables » en permettant de prévenir les difficultés sociales (décrochage scolaire, pauvreté féminine, chômage, délinquance…) plutôt que d’avoir à les traiter après qu’elles sont survenues, ce qui peut s’avérer encore plus coûteux.
De même, en permettant aux femmes de mener de meilleures carrières et, donc, d’augmenter leurs revenus sur l’ensemble de leur vie professionnelle, l’Etat peut se rembourser de son investissement via le surcroît de recettes (davantage de cotisations sociales, d’impôt sur le revenu…) que cela engendre pour les finances publiques.
Les dernières données disponibles montrent cependant que la plus grande hétérogénéité règne parmi les pays européens. C’est particulièrement vrai pour les premières années de la vie, avec un taux d’accueil des 0-2 ans qui varie de 5 % à 65 %. Les données ne permettent cependant pas de connaître le poids respectif des modes de garde collectifs (crèches et autres) et individuels (assistantes maternelles). Or seuls les premiers sont véritablement encouragés, car ils sont mieux à même de développer les capacités scolaires des enfants, en particulier les plus défavorisés.
On note d’ailleurs que dans la plupart des pays cet accès est par ailleurs inégalitaire, la participation des enfants de familles aisées étant toujours plus importante que celle des familles les plus pauvres, à l’exception de quelques pays comme le Danemark, la Suède ou la Slovénie.Les variations sont un peu moins fortes en ce qui concerne la participation des 3-5 ans aux programmes scolaires (préélémentaire ou élémentaire), mais restent significatifs. La France scolarise ainsi l’ensemble de ses 3-5 ans, là où la Grèce en scolarise moins de la moitié.
Un regard chronologique confirme que si, globalement, les pays européens ont accentué leur effort envers la petite enfance, celui-ci a été inégalement intensif. Si l’on compare la part du PIB consacrée en 2000 et en 2013 aux modes de garde formels* et à l’école préélémentaire (avant 6 ans), on constate notamment que les pays où cet effort a été multiplié par plus de 1,5 sont tous des pays situés au Nord de l’Europe. Certains faisaient d’ailleurs déjà partie des pays les plus performants du continent. Les courbes indiquent également que ces tentatives d’amélioration s’infléchissent après 2008, signe sans doute que les politiques de petite enfance ont pâti de la crise financière qui s’est déclenchée à ce moment-là.
L’Europe de la petite enfance est donc loin d’être unifiée. En 2013, le pourcentage de la richesse nationale (mesurée par le PIB) qui leur est consacré, varie en gros du simple au triple. Là encore, comme souvent en matière familiale, une Europe du Nord investissant beaucoup dans les dispositifs publics et universels de soutien s’oppose à une Europe du Sud et à une Europe centrale aux arrangements plus traditionnels.
Le degré d’investissement dans la petite enfance semble ainsi tenir pour une large part aux différences de nature entre modèles sociaux européens mais pas seulement. Une étude récente, comparant la dynamique de création de places de crèches en France et en Allemagne depuis 2006, montre qu’elle a été beaucoup plus vigoureuse chez cette dernière. Ce résultat est d’abord le fruit de la « prise de conscience » du fait que l’assignation des femmes à la garde de leur enfant engendrait des difficultés sur le marché du travail (fort taux de temps partiel féminin) et une très faible fécondité (1,35 enfant par femme au début des années 2000). Si l’on y ajoute les mauvais résultats des élèves allemands aux tests Pisa de 2001, cela a conduit à une mobilisation importante en faveur de la création de crèches.
Comparativement, la France, mieux placée du point de vue de la fécondité et du travail des femmes, offrait de meilleures capacités d’accueil grâce au fort développement de l’accueil individuel (assistantes maternelles). Elle a davantage tardé à reconnaître les fortes inégalités que génère son modèle scolaire. Et le rôle que l’investissement dans les structures d’accueil collectif pouvait jouer dans leur prévention.
Mais les auteurs insistent surtout sur les divergences entre les modes de gouvernance des deux pays. En Allemagne, le financement et l’environnement administratif des porteurs de projet de création ou d’extension de crèches a été rendu aussi simple que possible. Surtout, un droit opposable à un mode d’accueil pour les enfants (à partir de un an) a été mis en place en 2013. Il prévoit le dédommagement par les autorités locales des parents qui ne peuvent obtenir une place. A ainsi été créée une incitation directe à répondre aux besoins et souhaits de la population, qui se portent largement sur les modes de garde collectifs.
Par contraste, le modèle français apparaît très éclaté, avec de nombreux acteurs différents, qui agissent sans coordination ni objectif contraignant. La baisse du taux de couverture des modes de garde collectifs entre 2006 et 2014 s’explique ainsi par le fait que les créations de places en crèche (qui relèvent des collectivités locales) ont été plus que compensées par la chute significative, sur la même période, du nombre d’élèves scolarisés à deux ans, conséquence des décisions… du ministère de l’Education nationale.
Les facteurs institutionnels pèsent donc de tout leur poids dans l’extension et l’efficacité des politiques de petite enfance. Les systèmes les plus performants sont en effet le plus souvent unifiés, les enfants évoluant dans un parcours institutionnel coordonné de leur naissance à leurs six ans. Outre l’Allemagne déjà citée, seuls sept pays ont par ailleurs instauré un droit légal à l’accueil du jeune enfant : la Norvège, la Suède, la Finlande, le Danemark, l’Estonie, la Slovénie et Malte. Au-delà de l’investissement financier qu’il représente, le développement des services d’accueil de la petite enfance suppose sans doute des choix politiques forts, que tous les pays européens sont encore loin d’être prêts à assumer.