Télétravail : une révolution à encadrer
Avant que le mot « confinement » n’entre dans le vocabulaire européen à la fin du mois de février, le télétravail était encore un mode de travail fantasmé par certains, redouté par d’autres, en tout cas inimaginable pour la plupart des salariés en Europe.
Télétravail : une révolution à encadrer
Avant que le mot « confinement » n’entre dans le vocabulaire européen à la fin du mois de février, le télétravail était encore un mode de travail fantasmé par certains, redouté par d’autres, en tout cas inimaginable pour la plupart des salariés en Europe.
A part dans quelques pays à faible densité (Islande, Norvège, Finlande), et dans quelques autres aux économies très tertiarisées (comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou le Luxembourg), les Européens pratiquaient relativement peu ce mode de travail.
Mais en quelques jours, des dizaines de millions d’entre eux se sont retrouvés à traiter leurs mails depuis leur salon, à assister à une visioconférence depuis leur chambre ou à passer un coup de fil dans leur cuisine pour échapper aux cris des enfants.
Et maintenant ? Selon les enquêtes d’opinion récentes, de nombreux salariés européens disent vouloir continuer de télétravailler après la pandémie (au moins quelques jours) et beaucoup d’entreprises s’y disent également prêtes. La vague du télétravail ne va cependant pas tout emporter. Première raison : tous les métiers ne sont pas télétravaillables. Bien sûr, le confinement a repoussé les limites du périmètre qu’on imaginait jusque-là. Il est donc possible que les véritables frontières du télétravail soient encore sous-estimées.
Mais en France par exemple, 18,5 millions d’emplois sur les 27 millions que comptent le pays ne se prêtent pas au télétravail , estime l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Par ailleurs, il n’est pas acquis que les millions de télétravailleurs potentiels s’y inscrivent dans la durée. En France toujours, un tiers des salariés disaient être heureux de retourner au bureau après le confinement du printemps.
Ensuite, ceux qui aimeraient continuer le télétravail ont besoin d’un cadre de travail bien différent de celui qu’ils ont connu pendant le confinement. Le premier aspect est purement technique : l’Europe n’est pas encore parfaitement connectée.
L’accès à une connexion de qualité est devenu un enjeu majeur de productivité pour les pays, car les travailleurs sont de plus en plus mobiles. Au-delà de la simple opposition binaire entre ceux qui travaillent dans l’entreprise et ceux qui travaillent depuis chez eux, de nombreux actifs sont désormais nomades, soit parce que leur poste comporte beaucoup de déplacements (commerciaux par exemple), soit parce qu’ils alternent entre les locaux de l’entreprise, leur domicile, ou encore des tiers-lieux (comme les espaces de coworking).
Globalement, les pays très « télétravailleurs » sont aussi ceux qui ont la plus forte part de travailleurs mobiles. Au-delà des facteurs liés à la densité de population ou à la prédominance du secteur des services, il faut probablement y voir la conséquence d’un management plus ouvert à ces nouvelles formes de travail. Ainsi, les pays nordiques et anglo-saxons ont des travailleurs beaucoup plus mobiles que les pays du Sud (Italie, Grèce, Portugal, Espagne…).
Si ces modes de travail très mobiles sont de plus en plus recherchés par certains salariés, notamment car ils offrent une plus grande flexibilité sur les horaires du travail, les études disponibles alertent sur les risques liés à ce mode de vie. Ainsi, les télétravailleurs et les travailleurs très mobiles en Europe travaillent nettement plus que les autres.
Certes, ce résultat est en partie un effet de composition : on télétravaille d’autant plus facilement qu’on est un cadre, et les cadres ont des horaires de travail (et des salaires) bien plus élevés que les ouvriers à la chaîne qui pointent à l’entrée et à la sortie de l’usine. Néanmoins, les travailleurs mobiles sont nettement plus nombreux à travailler sur leur temps libre, et se disent plus soumis au stress que les autres.
Bonne nouvelle, les mauvaises conditions de travail liées à un exercice nomade ou à la maison ne sont pas une fatalité. L’encadrement de ces pratiques dans des accords collectifs au niveau d’une entreprise ou d’une branche permettent d’améliorer nettement la situation. Horaires de travail, séparation vie privée/vie professionnelle, participation à la vie de l’entreprise, « plus l’accord est formalisé, plus il semble jouer un rôle protecteur [pour le télétravailleur] », observe ainsi l’Insee, l’institut national de la statistique français, dans une étude .
En France, les partenaires sociaux discutent actuellement d’une révision des règles nationales. Les syndicats de salariés réclament une meilleure protection des travailleurs, alors que le patronat se satisfait des règles actuelles, qui sont très flexibles. Mais ce qui était possible lorsque le télétravail était un mode de travail minoritaire pour quelques cadres volontaires l’est moins dans le contexte actuel, où la pratique est massive et parfois imposée aux salariés pour des raisons sanitaires. Le télétravail a pour le moment surtout été une révolution par défaut à cause de la pandémie. Il est désormais l’heure de l’encadrer plus durablement.