Solidarité a minima face à la crise migratoire
Deux ans après la signature des accords de relocalisation des migrants pour soulager l’Italie et la Grèce, qui font face à l’écrasante majorité des arrivées, le paysage des migrations à travers la Méditerranée a changé et le bilan des efforts collectifs de l’Union européenne est pour le moins mitigé
Solidarité a minima face à la crise migratoire
Deux ans après la signature des accords de relocalisation des migrants pour soulager l’Italie et la Grèce, qui font face à l’écrasante majorité des arrivées, le paysage des migrations à travers la Méditerranée a changé et le bilan des efforts collectifs de l’Union européenne est pour le moins mitigé
Ce fut un choc. Au printemps 2015, les citoyens européens, habitués au spectacle des bateaux débarquant des migrants africains sur les côtes d’Italie au prix de naufrages réguliers, voient soudain les flux augmenter rapidement mais à partir d’une toute autre origine, la Turquie et vers un autre pays membre, la Grèce. Des flux dans lesquels les Syriens forment le groupe le plus nombreux et qui atteignent un pic en octobre 2015 (211 000 arrivées), soit un peu plus d’un mois après que la chancelière Angela Merkel a suspendu provisoirement l’application en Allemagne du règlement de Dublin. Ce règlement européen permet à un Etat membre de renvoyer un demandeur d’asile vers le premier pays de l’Union où il s’est fait enregistrer.
« Partage du fardeau »
Dans la précipitation, un vaste mouvement d’aide s’organise à l’automne 2015 dans certains pays européens (Autriche, Suède, Allemagne…), à l’initiative des pouvoirs publics mais souvent aussi d’associations humanitaires et de simples citoyens. Collectivement, l’Union européenne tente aussi d’organiser en son sein un minimum de solidarité, ou plutôt de « partage du fardeau », selon l’expression consacrée dans les milieux gouvernementaux. Et ce n’est pas sans mal que les Etats membres adoptent alors des accords prévoyant la relocalisation dans d’autres pays de l’Union d’une partie des migrants arrivés en Grèce ou en Italie, principaux pays d’entrée sur le territoire européen.
Deux ans plus tard, le paysage des migrations à travers la Méditerranée a changé et le bilan des efforts collectifs de l’Union européenne est pour le moins mitigé. Aujourd’hui, comme avant le printemps 2015, c’est par la Méditerranée centrale que parviennent les principaux flux de migrants qui débarquent en Europe, à partir de Libye pour l’essentiel et vers l’Italie. Au premier semestre de 2017, 85 000 personnes ont ainsi débarqué dans la péninsule, soit 20 % de plus qu’à la même période en 2016. Ces flux sont en majorité constitués de ressortissants d’Afrique de l’Ouest (Guinée, Nigeria, Côte d’Ivoire, Gambie, Sénégal), mais deux autres nationalités (Bangladesh et Maroc) y ont occupé une place significative depuis janvier dernier, tandis que les migrants originaires d’Afrique de l’Est (Erythrée, Soudan) sont proportionnellement moins nombreux qu’en 2016.
Répartition par nationalité des migrants arrivés en Europe au premier semestre 2017 (en %) et nombre de réfugiés syriens en 2017 (cliquez sur les différentes bulles pour afficher les différentes routes migratoires) (source : HCR, IOM)
Durant ces mêmes six premiers mois de 2017, 2 150 personnes ont trouvé la mort en tentant la dangereuse traversée de la Méditerranée centrale, soit 14 % de moins qu’à la même époque en 2016. Mais il s’agit là des corps retrouvés. Bien d’autres sans doute ont échappé à ce tragique décompte.
Les traversées de migrants entre la Grèce et la Turquie se sont en revanche taries (9 290 au premier semestre de cette année, contre 158 500 à la même période l’an dernier). C’est en partie le résultat de la déclaration commune signée par l’Union européenne et la Turquie en mars 2016. En vertu de cette déclaration, les autorités turques se sont alors engagées à prendre les mesures nécessaires pour éviter les départs de migrants de leurs côtes et à reprendre ceux d’entre eux qui, après avoir tout de même réussi à parvenir en Grèce, n’y auraient pas obtenu le statut de réfugié ou auraient renoncé à le demander. En échange, l’Union européenne a accepté d’accueillir sur son sol un migrant syrien vivant en Turquie pour chaque migrant renvoyé de Grèce, mais avec un plafond de 72 000 personnes.
Nombre de migrants arrivés par la mer (source : HCR, IOM)
Les Etats européens ont aussi promis de verser à la Turquie, qui accueille 3 millions de réfugiés syriens sur son sol, une aide de trois milliards d’euros, en plus de trois autres promis lors d’un précédent accord. Ils se sont par ailleurs engagés à reprendre les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union, en panne depuis plusieurs années et à accélérer la procédure de suppression des visas de court séjour pour les citoyens turcs désirant se rendre dans l’Union. Mais l’accomplissement de ces promesses non financières, conditionné au respect de l’Etat de droit en Turquie, a été entravé par l’autoritarisme croissant du président Recep Tayyip Erdoğan, notamment dans la foulée du putsch manqué du 15 juillet 2016 dans son pays.
Nombre de morts de migrants constatées (source : HCR, IOM)
La chute spectaculaire des traversées entre Turquie et Grèce s’est accompagnée d’une baisse radicale du nombre de morts sur cette voie de Méditerranée orientale (37 morts au premier semestre 2017, contre 376 à la même époque l’année précédente). En revanche, l’accord UE-Turquie a eu une conséquence très négative pour la Grèce et surtout pour les migrants arrivés sur son sol juste avant ou depuis la signature du texte. 62 000 d’entre eux sont aujourd’hui bloqués dans le pays, à la fois parce que les pays européens frontaliers de la Grèce ont verrouillé leurs frontières depuis mars 2016 et que le système d’asile grec est engorgé, ce qui limite la mise en œuvre des renvois prévus vers la Turquie par la Déclaration commune de mars 2016. De fait, 1 798 migrants ont été renvoyés vers ce pays au 9 juin 2017. L’Union a néanmoins accepté un nombre plus que proportionnel de Syriens réinstallés en vertu de la Déclaration commune puisque leur nombre s’élève à 6 254 à la même date.
Arrivées mensuelles en Méditerranée orientale (Grèce) et centrale (Italie) depuis le 1er janvier 2015 (source : HCR)
Quant à la solidarité entre Etats européens pour la répartition de migrants arrivés en Grèce et en Italie, le moins qu’on puisse dire, c’est que, pour l’instant, elle est limitée mais surtout très contrastée. Sur les près de 100 000 migrants qui devaient être ainsi relocalisés, seul un cinquième l’a effectivement été au 9 juin 2017, même si la Commission européenne insiste sur le fait que le rythme s’est accéléré depuis janvier dernier. Surtout, certains pays, notamment en Europe centrale et orientale, n’ont accueilli aucun migrant relocalisé ou presque. Au point que le Commission européenne a récemment décidé d’engager des procédures d’infraction contre la Pologne, la République tchèque et la Hongrie.
Nombre de demandes d’asiles acceptées par million d’habitants, en 2016 (source : Eurostat)
Les arrivées de migrants en Italie ayant augmenté durant le premier semestre, l’important de la solidarité entre Etats membres aurait dû dans l’idéal s’accroître. En réalité, les pays de l’Union ont surtout l’ambition de freiner les flux en amont à deux niveaux. Dans les pays d’origine en promettant une aide au développement accrue pour y élever le niveau de vie et inciter ainsi les migrants dont les motivations sont surtout économiques à rester sur place. Pour se faire bien comprendre, les Etats membres ambitionnent, parallèlement à cette aide, de renvoyer dans leur pays d’origine ceux des migrants qui sont parvenus jusque dans l’Union, mais qui n’y ont pas obtenu le statut de réfugié.
Nombre de relocalisations de migrants promises et réalisées au 9 juin 2017 (source : Commission européenne)
Les Etats de l’Union ciblent avec plus d’empressement encore les pays de transit, comme le Niger, plaque tournante pour l’Afrique de l’Ouest aujourd’hui, et surtout la Libye. L’Union participe à la formation de gardes-côtes dans ce pays d’Afrique du Nord qui compte deux gouvernements et surtout un grand nombre de groupes armés qui échappent à leur contrôle. Depuis début août, l’Italie a d’ailleurs envoyé des navires militaires dans les eaux territoriales libyennes pour assister les gardes-côtes locaux. Rome se félicite de ce que les arrivées ont très sensiblement diminué en juillet (1 1461) et en août (3 813) par rapport à juin (23 524). Une baisse que l’agence Frontex a attribuée à la fois aux mauvaises conditions météo en mer, aux combats en Libye et à l’action des gardes-côtes de ce pays.
L’objectif général de l’Union européenne est d’empêcher les embarcations lancées en mer par les passeurs d’atteindre les eaux internationales et de permettre que les migrants soient ramenés vivants sur le rivage libyen. Dans les eaux internationales en effet, des navires militaires européens, mais aussi d’autres affrétés par des ONG s’efforcent de venir au secours des embarcations en perdition et lorsqu’elles y parviennent emmènent les migrants jusqu’à un port d’Italie. De fait, aujourd’hui, la majorité qui débarque dans la péninsule le font au terme d’une opération de sauvetage en haute mer.
Fin juillet, les autorités italiennes ont tenté de faire signer un code de conduite aux différentes ONG actives en Méditerranée centrale, estimant que leur action était mise à profit par les passeurs pour mettre des masses de migrants en danger. Mais plusieurs d’entre elles ont refusé de signer ce texte, notamment parce qu’il prévoit la présence de policiers armés à bord de leurs navires et surtout parce qu’il entend contraindre ces organisations à emmener elles-mêmes les migrants qu’elles sauvent jusqu’à un port, au lieu de les confier à un navire de gardes-côtes à la capacité plus grande. Ces organisations humanitaires estiment qu’une telle contrainte ralentira leurs activités de sauvetage et les empêchera de secourir certains migrants, qui risquent alors de trouver la mort. De son côté, le 10 août, le GNA (gouvernement d’entente nationale) qui « contrôle » la moitié occidentale de la Libye, a décidé d’interdire aux navires des ONG une zone d’une centaine de miles au large des côtes du pays, soit bien plus que les 24 miles (eaux territoriales et zone contiguë) que le droit international lui reconnaît. A la suite de cette décision et d’actions menaçantes des gardes-côtes libyens, plusieurs ONG ont depuis lors suspendu leurs opérations de sauvetage en Méditerranée.
En tout état de cause, l’effet immédiat des mesures coercitives prises par Rome et Tripoli est de maintenir les migrants déjà arrivés en Libye sur le sol de ce pays et notamment dans les camps de détention que l’envoyé spécial du HCR pour la Méditerranée centrale a qualifié de de « prisons » dans un entretien à l’agence italienne ANSA, précisant que si certaines étaient contrôlées par les autorités, d’autres sont sous la coupe de milices ou de trafiquants. Etant donné l’anarchie politique et militaire qui règne aujourd’hui en Libye, il paraît peu probable que la situation s’y améliore rapidement en dépit de l’aide promise par les pays européens. Des pays qui ont en revanche refusé d’ouvrir leurs ports aux migrants, comme le leur avait demandé l’Italie.