Plan de relance américain : comme en 2008, l’Europe prend du retard
Les Etats-Unis dépensent davantage et plus rapidement que les Européens pour soutenir leur économie. Et même si le plan Biden va se traduire par une hausse des importations, ce n’est pas la zone euro qui en bénéficiera le plus.
Plan de relance américain : comme en 2008, l’Europe prend du retard
Les Etats-Unis dépensent davantage et plus rapidement que les Européens pour soutenir leur économie. Et même si le plan Biden va se traduire par une hausse des importations, ce n’est pas la zone euro qui en bénéficiera le plus.
Alors qu’il y a un an, le taux de chômage américain grimpait à des niveaux jamais atteints et passait de 4,4 % à 14,8 % en l’espace d’un mois, l’économie américaine se redresse aujourd’hui plus rapidement que la zone euro. L’OCDE prévoit ainsi une croissance de 6,5 % outre-Atlantique pour l’année 2021, contre seulement 3,9 % en zone euro. La faute, chez nous, à une campagne de vaccination qui s’enlise sur le front sanitaire et un soutien qui manque d’ambition et tarde à se concrétiser sur le front économique.
La situation est loin d’être revenue à la normale aux Etats-Unis, ainsi que l’a souligné Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale le 17 mars dernier : « La reprise économique demeure inégale (…) et les prévisions sont incertaines (…). Il y a toujours dans l’économie un déficit de 9,5 millions d’emplois [par rapport à la situation pré-Covid, NDLR]. » En février, le taux de chômage s’est établi à 6,2 %, contre 3,5 % avant la pandémie . Sa diminution se fait moins rapide depuis l’automne et ce chiffre ne tient pas compte des citoyens qui sont tout bonnement sortis du marché du travail et sont devenus inactifs à cause de la pandémie.
Mais le plan de relance de 1 900 milliards de dollars voulu par Joe Biden et adopté par le Congrès au début du mois de mars pourrait bien faciliter la reprise du géant américain. Au programme : des aides pour les familles, l’extension des conditions plus favorables de l’assurance chômage instaurées par Donald Trump jusque l’été 2021 au moins, un soutien financier aux Etats qui sont en première ligne face à la pandémie et l’envoi de chèques aux ménages.
Surchauffe ou crise économique ?
De quoi faire surchauffer l’économie américaine ? Pour certains économistes comme Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), ce plan serait en effet tellement massif qu’il risque de provoquer une remontée de l’inflation, et donc à terme des taux d’intérêt si la Fed, la banque centrale américaine, est obligée d’agir en conséquence pour ralentir l’économie et contenir la hausse des prix. Cette analyse peut toutefois être questionnée, aux vues de la faiblesse de l’inflation observée dans les économies avancées depuis plusieurs années. « Dans les années 1980, lorsque le chômage diminuait de 1 point de pourcentage, l’inflation augmentait d’environ 0,25 point. Aujourd’hui, une diminution du chômage ne se traduit pratiquement plus sur le niveau d’inflation, en raison notamment de la perte de pouvoir des salariés sur la fixation des salaires », explique Laurent Ferrara, professeur d’économie internationale à SKEMA Business School. Ce changement fondamental résulte dans le langage des économistes de « l’aplatissement de la courbe de Phillips », cette dernière représentant la relation entre le niveau de chômage et le niveau d’inflation.
Par ailleurs, la Réserve fédérale américaine a modifié son mandat à la fin de l’été 2020 pour ne plus être obligée de remonter ses taux dès que l’inflation atteint la barre fatidique des 2 %. Elle s’autorise désormais, pour compenser les années d’inflation faible que nous venons de vivre, à passer au-delà des 2 % pour quelques temps, et vise cette cible uniquement à moyen terme. Entre un risque limité de surchauffe de l’économie provoqué par le sur-calibrage du plan de relance et un risque assuré de crise économique en cas de manque d’ambition, Joe Biden a fait son choix.
L’Europe prend du retard
Il est difficile de comparer l’ampleur du soutien budgétaire en zone euro et aux Etats-Unis. Outre-Atlantique en effet, le manque criant de filets sociaux nécessite des mesures ponctuelles de soutien budgétaire beaucoup plus importantes en cas de crise, tandis que nous disposons en Europe d’un certain nombre de « stabilisateurs automatiques » qui se sont mis en marche avec la pandémie (assurance chômage, assurance maladie, etc.). « Même cet effet mis à part, les Etats-Unis sont aujourd’hui un cran devant nous en matière de relance », constate Laurent Ferrara. « Que dire du plan de relance européen, présenté comme une avancée majeure ?, interroge Olivier Passet, directeur de la recherche de Xerfi . 750 milliards d’euros sur trois ans, dont 390 milliards de subventions, le reste étant des prêts. Moins de 1 % de dépenses nouvelles par an, quand les Etats-Unis ou la Chine organisent leur relance à des échelles 5 à 10 fois plus élevées et bien plus concentrées dans le temps. »
Les Américains dépensent plus pour soutenir leur économie, et surtout ils le dépensent en effet plus vite. Ainsi, des millions d’Américains ont déjà reçu les chèques promis par Joe Biden, quand les Etats européens n’ont pas touché le moindre centime des 750 milliards d’euros promis par le plan Next Generation EU . Ce dernier a marqué une avancée majeure en permettant pour la première fois à la Commission européenne d’emprunter au nom de tous les Etats membres, via un emprunt mutualisé. Mais la mécanique tarde à se mettre en place. D’une part, car si les Etats membres ont fait part de leurs projets de plan de relance nationaux, aucun n’a encore abouti à une version finale et soumis officiellement son plan de relance pour examen à la Commission (ils ont jusqu’au 30 avril pour le faire, suite à quoi les plans devront être validés par le Conseil européen). D’autre part, l’institution doit attendre que tous les Etats membres l’autorisent officiellement via leurs parlements nationaux à relever son plafond de ressources propres pour pouvoir réaliser un emprunt mutualisé sur les marchés. Seuls seize Etats se sont pour l’instant prononcés, dont la France. Récemment la ratification du plan européen a été suspendue en Allemagne , ce qui risque d’allonger encore son déploiement.
« Les 750 milliards du plan de relance européen financé par endettement vont augmenter les dépenses d’investissement dans les années à venir (…). Mais il incombe désormais aux gouvernements nationaux, dont certains sont très lourdement endettés et qui risquent à l’avenir de tomber sous le coup des règles budgétaires européennes, de relancer davantage leurs économies », notent paradoxalement Christian Odendahl et John Springford, économiste au Center for European Reform, et auteurs de l’article « Pourquoi l’Europe devrait dépenser autant que Biden » . D’où l’importance pour l’Europe de s’accorder rapidement sur l’avenir de ses règles budgétaires, qui ont été provisoirement suspendues depuis le début de la pandémie, et ce jusqu’au moins fin 2022.
« On parle beaucoup de la dette en Europe, mais ce n’est pas la question à se poser à l’heure actuelle. Il faut plutôt se demander comment faire pour dépenser au mieux », insiste Laurent Ferrara. Sans quoi nous risquons d’assister à une répétition de la situation post-crise financière de 2008, où les Etats-Unis ont réussi à se relever plus rapidement que l’Europe, qui a pâti de son retour trop rapide à l’austérité. D’autant que le risque de voir la relance européenne s’éloigner est aujourd’hui accru par la lenteur de la campagne de vaccination. Lancée treize jours avant la nôtre, « la campagne de vaccination américaine a permis mi-mars de vacciner 33 % de la population, contre 11,6 % en moyenne en zone euro », souligne un rapport de Natixis visant à expliquer les différences de croissance entre les deux zones.
Consommateur en dernier ressort
Etant donné que les Etats-Unis importent traditionnellement plus qu’ils n’exportent (lui conférant un rôle mondial de « consommateur en dernier ressort »), on pourrait imaginer que le plan de relance de Joe Biden bénéficie indirectement à l’Union européenne en lui permettant d’augmenter ses exports. Ce qu’a d’ailleurs souligné Phillip Lane, l’économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE) . Mais aux vues de la structure des échanges commerciaux américains , ce seront avant tout la Chine, le Mexique et le Canada qui bénéficieront de cet effet de relance. Au sein de l’Union européenne, c’est l’Allemagne, 4e fournisseur des Etats-Unis en 2021, qui pourrait tirer son épingle du jeu. « Les exportateurs allemands bénéficient d’une conjoncture robuste en Asie et aux Etats-Unis », notait ainsi récemment l’Ifo institute, un institut de recherche économique allemand. Avec du coup un risque de voir s’accentuer l’écart entre Berlin et le reste du continent .
En clair, l’Europe ne pourra compter que sur ses propres mesures de soutien pour espérer se sortir rapidement de la crise liée à la pandémie. Et il y a urgence, à la fois sur le front sanitaire et sur le front économique. Malgré tout, « les chances de voir l’Europe imiter les Etats-Unis et augmenter rapidement le fonds pour la reprise et la résilience [le principal instrument du plan de relance européen, NDLR] sont minces, estime Gilles Moëc, chef économiste chez AXA IM. Le mieux que nous puissions espérer est une accélération des versements sur lesquels l’Europe s’est déjà engagée. »