Les mirages de la baisse du coût du travail
En quête de compétitivité, de nombreux Etats songent à réduire le coût du travail, en allègeant notamment les cotisations sociales. Mais est-ce la bonne solution ?
Les mirages de la baisse du coût du travail
En quête de compétitivité, de nombreux Etats songent à réduire le coût du travail, en allègeant notamment les cotisations sociales. Mais est-ce la bonne solution ?
Alors que les entreprises françaises s’apprêtent à bénéficier de nouveaux allègements de cotisations sociales accordés par le gouvernement, une étude récente de la Banque de France vient relativiser l’effet d’une telle politique sur la compétitivité de leurs produits.
Allégements pérennes
Depuis le 1er octobre, le deuxième étage du dispositif visant à remplacer le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE, un avantage fiscal envers les entreprises soumises à un régime réel d’imposition et supprimé fin 2018) est entré en œuvre. Désormais, le gouvernement a décidé d’une baisse directe des cotisations sociales dans les mêmes proportions.
Avec cette bascule vers des allègements de cotisations pérennes, le gouvernement espère un effet plus direct sur l’emploi. Les entreprises encaissent la baisse de cotisations au moment où elles versent les salaires, alors qu’elles devaient attendre un an pour recevoir le crédit d’impôt.
Améliorer compétitivité prix et hors prix
Mais comme son nom l’indique, l’autre objectif du CICE était d’améliorer la compétitivité des entreprises, afin qu’elles gagnent des parts de marché à l’export. Il s’agissait de doper leur compétitivité prix, le CICE étant alors utilisé par les entreprises françaises pour baisser le prix de leurs produits. Mais aussi leur compétitivité hors-prix, les marges dégagées par le CICE servant cette fois aux entreprises à investir et innover pour monter en gamme et se démarquer de la concurrence.
Le présupposé derrière cette politique est que la dégradation de ces deux formes de compétitivité explique les déboires du commerce extérieur français depuis une dizaine d’années. Un diagnostic que nuance un récent numéro du Bulletin de la Banque de France.
Première surprise, l’évolution du coût du travail en France n’apparaît pas réellement déterminante pour expliquer les fluctuations de la compétitivité prix des produits français. Logique si l’on y réfléchit : avec l’éclatement géographique de la production, les biens produits sur un territoire comportent en effet une part croissante de biens intermédiaires (qui sont déjà issus d’une transformation, mais qui ne constituent pas un produit fini. Ils sont une partie du produit fini. Par exemple, les puces électroniques des smartphones sont des biens intermédiaires) – et donc de travail – importés depuis d’autres pays. La compétitivité prix d’un produit à l’export ne saurait dès lors se résumer aux coûts de production sur son territoire d’origine : elle dépend aussi des coûts de production dans les pays qui ont pris part à sa chaîne de production.
En France, l’évolution de ces coûts importés est à l’origine des trois quarts de l’augmentation du coût unitaire du travail entre 2000 et 2014, selon la Banque de France. Principal pays d’origine de cette inflation importée : la Chine ! A partir de 2007, l’empire du Milieu a en effet vu le yuan s’apprécier et les salaires dans le secteur des services augmenter.
En comparaison de pays voisins comme l’Espagne ou le Royaume-Uni, qui ont connu une forte hausse de leur coût du travail domestique, le coût du travail en France apparaît comme un sujet d’inquiétude mineur.
Plus encore que la France, l’Allemagne a elle aussi vu ses coûts importés s’envoler depuis le milieu des années 2000. Une inflation qui a pour origine ses principaux partenaires de production, situés au sein de l’Union européenne. Les économistes de la Banque de France ne le précisent pas, mais on devine qu’il s’agit des pays d’Europe centrale et orientale (Peco), fortement imbriqués au sein des chaînes de valeur de l’industrie allemande.
Si la hausse globale du coût unitaire du travail allemand est cependant restée contenue, ce n’est qu’au prix d’une compression violente de ses coûts domestiques. On lit là l’effet des lois Hartz mises en œuvre sous le gouvernement de Gerhard Schröder dans les années 2000, qui ont mis un coup d’arrêt à la progression des salaires. Les données compilées par la Banque de France s’arrêtent en 2014, mais il ne semble pas que le CICE, entré en vigueur au 1er janvier 2013, ait réellement permis à la France d’enclencher une dynamique similaire pour comprimer ses coûts domestiques. Peut-être que cette compression viendra plutôt des réformes du Code du travail qui, en affaiblissant le pouvoir de négociation des salariés, devraient conduire à une modération salariale.
Le rôle surestimé des prix bas
Mais au final, quelle influence les prix bas jouent-ils dans les performances à l’export d’un pays ? Et leur qualité et contenu en innovation ? Au cours de la période récente, dans nombre de pays, ces deux formes de compétitivité ont eu moins d’influence dans l’évolution des exportations que la conjoncture mondiale et les fluctuations de la demande étrangère, montrent les données de la Banque de France. « Ces facteurs exogènes représentent entre 50 % et 85 % de la croissance cumulée entre 2000 et 2014 des exportations selon les pays », soulignent les auteurs.
C’est particulièrement le cas de la France, même si compétitivité prix et compétitivité hors-prix ont pesé négativement sur la croissance des exportations jusqu’en 2007, avant de devenir plus favorables. C’est également le cas de l’Allemagne, même si, contrairement à sa voisine, les deux composantes de la compétitivité ont eu une influence positive sur l’essor des exportations.
De quoi relativiser le miracle du Made in Germany. Si on met de côté la part imputable à l’amélioration de la compétitivité, la croissance des exportations allemandes reste supérieure à celle des exportations françaises.
En clair, l’industrie allemande doit ses performances à l’export avant tout à la croissance mondiale et à sa spécialisation industrielle dans des secteurs qui ont bénéficié d’une forte demande depuis le début des années 2000 – voitures haut de gamme, chimie, sidérurgie et équipements de production – plus qu’à ses efforts pour accroître sa compétitivité durant cette période. Le marasme actuel de ces marchés explique d’ailleurs pourquoi l’Allemagne est aujourd’hui au bord de la récession.
Il n’y a guère que deux pays pour qui la compétitivité – hors-prix en l’occurrence – a joué un rôle plus important que la conjoncture et la demande extérieure : l’Espagne et la Chine. Une dynamique qui reflète leurs efforts pour monter en gamme depuis le début des années 2000. Mais en la matière, les deux pays partaient de loin.
Conclusion : la maîtrise de ses coûts internes n’est pas suffisante pour booster la compétitivité prix d’un pays. Et l’amélioration de la compétitivité, qu’elle porte sur les prix ou sur la qualité et l’innovation des produits, n’est que le petit plus permettant d’amplifier la croissance des exportations.
Elle joue souvent un rôle moindre que des facteurs externes sur lesquels les gouvernements n’ont que peu de prise. Dès lors, au-delà du débat sur leur utilisation par les entreprises, on comprend un peu mieux pourquoi les milliards du CICE et du Pacte de responsabilité n’ont guère eu d’effets visibles à ce jour sur le déficit commercial de la France. Et on peut redouter qu’il en soit de même pour les réformes du marché du travail menées tambour battant depuis quelques années avec l’objectif, souvent inavoué, de baisser le coût du travail.