Les Invisibles de la pandémie : comment la crise sanitaire a affecté la santé des migrants et des réfugiés
Avec toute la couverture médiatique que reçoit le Covid-19, les réfugiés et les migrants sans-papiers ont disparu de l’attention du public. La raison pour laquelle ces communautés ont disparu de l'actualité les a touchées de manière disproportionnée.
Les Invisibles de la pandémie : comment la crise sanitaire a affecté la santé des migrants et des réfugiés
Avec toute la couverture médiatique que reçoit le Covid-19, les réfugiés et les migrants sans-papiers ont disparu de l’attention du public. La raison pour laquelle ces communautés ont disparu de l’actualité les a touchées de manière disproportionnée.
« L’endroit où j’étais hébergée n’accueillait que des hommes adultes. Les mineurs n’étaient pas acceptés en raison du Covid et les interventions des bénévoles dans les premiers centres d’accueil avaient été suspendues, à cause du Covid également » raconte Franca, une infirmière italienne appelée d’urgence à la rescousse lorsque la pandémie s’est déclarée en mars.
À cette époque, elle vivait et travaillait en Belgique mais elle a dû tout laisser derrière elle et retourner dans son pays. Puis, à la mi-août, Franca a décidé de faire du bénévolat dans un centre SPRAR (Système de Protection des réfugiés et des demandeurs d’asile) près de Trapani, en Sicile. « Les conditions d’hygiène étaient désastreuses et il y avait trois ou quatre occupants par chambre. Honnêtement, les mesures de sécurité contre le Covid n’étaient pas respectées, mais l’été dernier, les masques n’étaient plus obligatoires dans la rue non plus ». Franca et ses collègues bénévoles n’ont pas rencontré d’urgences sanitaires et un médecin se trouvait sur place, au cas où. Pour les jeunes hommes du centre, « une “maladie”, c’est en fait tout autre chose », explique-t-elle.
Pourtant, plus de 30 000 réfugiés et migrants ont participé à la toute première enquête de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) , évoquant les lourdes conséquences de la pandémie sur leur santé mentale et physique. L’étude, publiée à l’occasion de la Journée internationale des migrants, jette enfin un peu de lumière sur une partie de la population mondiale dont la santé a été négligée pendant la crise.
Que s’est-il passé pour les personnes arrivant en Europe en période de Covid-19 ?
Tout d’abord, leur nombre a diminué.
Vintimille demeure la frontière la plus simple à franchir pour les migrants arrivant d’Italie. « On a toujours énormément de passage à cet endroit et, après une petite baisse, le nombre de migrants a de nouveau augmenté pendant l’été », explique Jacopo Colomba, coordinateur de projet pour WeWorld Onlus . « 12 000 personnes ont notamment été refoulées à la frontière rien qu’au cours des neuf premiers mois de 2020. Il est également intéressant de noter que les passeurs réclamaient plus d’argent pour aider les gens à traverser la frontière pendant le premier confinement : jusqu’à 500 euros pour 40 km. »
La pandémie a altéré les conditions de vie, obligeant davantage de personnes à vivre dehors. « Nous avons eu deux cas de Covid en avril. Ajoutés à l’inquiétude sociale, c’est la raison de la fermeture de notre unique camp. Nous n’avions pas de plan d’urgence approprié et la pandémie a provoqué une sorte d’effet barrage ».
Sur d’autres frontières, la situation est plus difficile encore, au point qu’en septembre, The Good Lobby, les avocats bénévoles de De Brauw Blackstone Westbroek et WeMove Europe, ont déposé une plainte auprès de la Commission européenne : ils accusent la Grèce de violer les lois sur l’asile. « Depuis le mois de mai, nous recevons à nouveau des demandes d’asile. Les refoulements ont toujours lieu : les conditions de détention sont toujours horribles et de nombreuses violations des procédures de l’UE continuent de se produire » se désole le militant Giulio Carini. « Les demandeurs d’asile doivent par exemple passer un appel par Skype, ce qui est particulièrement difficile à organiser pour le moment. »
Des difficultés d’intégration sont ensuite apparues ou se sont accrues. En Bulgarie et en France, les gens ne trouvaient pas de travail et ne pouvaient même pas prendre le bus.
Mariana Stoyanova, responsable de programme au service des réfugiés-migrants de la Croix-Rouge bulgare, se rappelle que durant le premier confinement, « tout était fermé, y compris les parcs ». « L’impact a été particulièrement fort pour les demandeurs d’asile car les visiteurs n’étaient pas autorisés à se rendre dans les six centres d’accueil bulgares. Les règles étaient très strictes », explique-t-elle. « Cela a eu un résultat positif puisqu’aucune contamination n’a été constatée. Dans les centres de détention cependant, on a dénombré environ 70 cas et quelques hospitalisations, principalement parce leurs occupants sont pris directement aux frontières ».
En France par ailleurs, on déplore un problème préexistant de violence policière à l’égard des migrants. Selon Pierre Roques, coordinateur sur le terrain d’Utopia 56 à Calais, « les attentats terroristes servent de prétexte. Un centre d’hébergement temporaire a récemment ouvert ses portes, mais la plupart des gens vivent encore à l’extérieur. Il est donc difficile de détecter les cas de Covid, ce qui ne semble d’ailleurs pas les inquiéter outre mesure, et c’est tout à fait compréhensible ».
Comme l’explique Ellen Ackroyd, l’une des deux responsables de Help Refugees Calais sur le terrain: « Les masques sont distribués de manière très irrégulière et non systématique. C’est un problème majeur, car les personnes qui ne possèdent pas de masque ne peuvent pas prendre le bus ou entrer dans les magasins. Les communautés marginalisées sont, dans une certaine mesure, tout à fait conscientes des risques et sont, comme tout le monde durant cette pandémie, très prudentes en matière d’hygiène. Mais contrairement à la plupart des gens, leur accès à des installations sanitaires sûres est très restreint, un droit fondamental qui devrait pourtant être assuré par l’État. Cela constitue régulièrement une source de colère, puisque certaines personnes n’ont pas pris de douche depuis des mois ! »
Au moins 50 % des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de l’OMS considèrent qu’elles ont été impactées par la pandémie, au niveau professionnel, de leur sécurité et de leur situation financière. Selon l’enquête, certaines formes de discrimination ont été particulièrement ressenties dans la tranche d’âge des plus jeunes (20-29 ans), au sein de laquelle30 % des personnes interrogées au moins ont estimé être moins bien traitées en raison de leur origine.
Enfin, l’état de santé général des migrants et réfugiés s’est dégradé. « De nombreuses personnes souffrant de maladies chroniques, vivant les unes sur les autres dans des conditions précaires, sans médicaments et avec des problèmes psychologiques… tout cela m’inquiétait vraiment », explique Sanne van der Kooij, une gynécologue néerlandaise membre du groupe SOSMoria . « Avec l’arrivée d’une seconde vague de Covid-19, l’hiver va être compliqué. Je pense que les plus grosses difficultés pour eux sont les conséquences des mesures prises contre le Covid-19, car ils ne peuvent pas sortir du camp. Ils sont donc isolés et effrayés ».
La plupart des réfugiés et des migrants qui ont participé à l’enquête de l’OMS ont pris des précautions pour éviter de contracter le Covid. S’’ils ne l’ont pas fait, c’est parce qu’ils ne le pouvaient pas – non parce qu’ils ne le voulaient pas.
Il est cependant compliqué de dénombrer les cas et les décès parmi les migrants. Tous les volontaires et experts interrogés – en Bulgarie, en France, en Grèce et en Italie – concordent : les conditions sanitaires sont souvent si précaires que personne ne se soucie du Covid et, lorsque c’est le cas, il n’y a de toute façon pratiquement aucun moyen de tester les personnes qui arrivent sur notre continent.
Parallèlement, des études montrent que les personnes vulnérables sont plus susceptibles de tomber malades. Les migrants en font partie, en particulier lorsqu’ils n’ont pas de papiers.
L’enquête de l’OMS démontre que les principales raisons pour lesquelles un nombre important de migrants et réfugiés ne cherchent pas à recevoir de soins sont les suivantes : la faiblesse de leurs moyens financiers, la crainte d’être expulsé, le manque de soins mis à leur disposition ou l’absence de droits. Ainsi, un migrant sur six sans papiers ne chercherait pas à obtenir des soins médicaux lorsqu’il présente des symptômes du Covid.
« Les migrants sans papiers ont beaucoup de mal à accéder aux soins », déclare Michele LeVoy, directrice de la Plateforme pour la coopération internationale pour les sans-papiers . « Le système de santé étant réglementé au niveau national, il appartient aux États membres de l’UE de décider s’ils sont autorisés à bénéficier d’une assistance médicale. Cela signifie qu’il existe 27 systèmes différents en Europe et que même si les lois leur permettent d’accéder à un certain niveau de soins, certains pays, comme le Royaume-Uni et l’Allemagne, exigent que l’administration de la santé signale les personnes sans papiers aux autorités de l’immigration. Dans toute l’Europe, de nombreuses personnes sans papiers redoutent de se rendre chez le médecin ou à l’hôpital par crainte d’être dénoncées ».
On ne peut masquer entièrement l’existence de communautés entières ; on a donc tenté de la dissimuler le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’il devienne impossible de nier leur présence. C’est la raison pour laquelle, au cours de la pandémie, très peu de pays ont mis en place des mesures spéciales qui ont permis aux sans-papiers d’accéder aux soins en toute sécurité. Parmi ceux-ci, on trouve l’Irlande, le Portugal et l’Italie.
« Cette année, nous avons constaté que la pandémie a exacerbé les vulnérabilités existantes de certains groupes au sein de la population, tout comme la nécessité accrue de s’attaquer aux facteurs qui les rendent vulnérables », conclut M. LeVoy. «Si vous voulez être judicieux en matière de santé publique, n’excluez personne. La santé publique ne connaît pas de frontières et les virus ne sont pas détenteurs de passeports ».