Les 100 zones urbaines où le Dieselgate tue le plus en Europe
Les émissions supérieures aux normes européennes représentent un faible pourcentage des polluants dans l'air, mais provoquent des centaines de décès dans des zones densément peuplées et où la circulation est la plus dense en Europe.
Les 100 zones urbaines où le Dieselgate tue le plus en Europe
Les émissions supérieures aux normes européennes représentent un faible pourcentage des polluants dans l’air, mais provoquent des centaines de décès dans des zones densément peuplées et où la circulation est la plus dense en Europe.
Plus d’un tiers des personnes qui décèdent chaque année en Europe à cause des émissions des moteurs diesel émises en violation des normes européennes vivent dans une centaine d’agglomérations urbaines. Celles-ci se trouvent en Italie, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Belgique et en Espagne. Ce sont plus ou moins les mêmes villes où ont été adoptées récemment des décisions d’interdiction d’accès aux voitures à moteur diesel les plus polluantes. Le bilan est de 1 500 à 2 000 décès prématurés pour une population totale de 100 millions d’habitants (soit près de 20 pour cent de la population globale de l’UE).
Même si ces chiffres sont impressionnants, ils ne représentent qu’une fraction des vies humaines perdues à cause du dieselgate, le scandale qui a éclaté en 2015 après que l’Agence pour la protection de l’environnement des Etats-Unis a révélé que le constructeur automobile Volkswagen (et d’autres par la suite) avait truqué ses moteurs diesel afin qu’ils restent en-deçà des seuils prévus par la loi lors des phases de test. Ce scandale a dévoilé au public comment l’industrie automobile dans son ensemble a contourné le système européen de contrôle des émissions à travers des tests floutés.
La liste noire des localités présentant un risque majeur que nous avons compilée repose sur les résultats statistiques de l’International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA) , une institution autrichienne spécialisée dans l’analyse des conséquences de la pollution atmosphérique au regard des politiques de l’UE, et l’Institut météorologique norvégien (MetNorway). En septembre dernier, ces organisations avaient déjà publié ensemble une étude qui révélait que près de 5 000 personnes meurent chaque année des suites de ces trucages illégaux.
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- Les 100 villes/régions d’Europe où le nombre de morts par an à cause des émissions d’oxydes d’azote dépassant les limites européennes est le plus élevé
- Le nombre approximatif de décès prématurés par région/cellule dus aux émissions d’oxydes d’azote dépassant les limites européennes
- La pollution des véhicules diesel dépassant les limites europennes
- La population par région/cellule
En tête du classement macabre établi pays par pays, se trouvent les agglomérations de Monza-nord de Milan (première au classement des décès prématurés en Europe), du nord-ouest de Paris (troisième en Europe), de l’est de Munich (dixième en Europe), du nord-ouest de Londres (douzième en Europe), de Bruxelles (quinzième en Europe), d’Amsterdam (trente-quatrième en Europe) et de Barcelone (quarante-septième en Europe). Dans plusieurs de ces régions, les administrations locales ont adopté récemment des arrêtés d’interdiction pour les moteurs diesel les plus anciens et polluants. A titre marginal, l’Autriche, avec le sud-ouest de Vienne, et la Hongrie, avec le sud-est de Budapest, se trouvent en queue de peloton.
L’Italie renferme plus de 40% de toutes les zones urbaines figurant dans les cent villes européennes les plus polluées, qui représentent à elles seules 50% du nombre total de décès. L’Allemagne et la France sont en tête des cinq pays possédant le plus de zones urbaines où le nombre de morts est supérieur à la moyenne européenne, devant l’Italie, le Royaume-Uni et la Pologne.
Selon l’IIASA, chaque habitant âgé de plus de 30 ans perd en moyenne plus de six jours d’espérance de vie en Italie, près de cinq jours en Belgique et au Luxembourg, environ quatre jours aux Pays-Bas et en France ainsi qu’en Slovénie, plus de trois jours en Allemagne et en Autriche, près de deux jours au Royaume-Uni et en Hongrie, et plus d’un jour en Espagne, qui se trouve au milieu du classement. Ce sont ainsi 5 ans et demi d’espérance de vie moyenne au total qui sont perdus pour 1 000 adultes européens âgé de plus de 30 ans. Un chiffre qui peut sembler relativement modeste au regard des 50 ans d’espérance de vie sur lesquels peuvent comptes en moyenne les Européens de cet âge là. Il s’agit bien sûr d’une extrapolation.
Les recherches de l’IIASA et de MetNorway couvrent les Etats membres de l’UE ainsi que la Norvège et la Suisse. Les chercheurs ont divisé l’ensemble des pays en 6 600 cellules ou régions géographiques, sans tenir compte des divisions administratives, de façon à pouvoir disposer de mesures capillaires et réalistes des niveaux de pollution dans chaque zone habitée. En fonction de ses dimensions, chaque ville est divisée en plusieurs segments, comme Londres, ou fusionnée avec d’autres villes dans une même zone, comme dans le cas de Monza et du nord de Milan.
Sur la base de cette répartition géographique et d’équations vérifiées par des experts indépendants, nous sommes parvenus à cartographier les décès prématurés dus aux émissions dépassant les seuils légaux dans l’ensemble des régions. L’objectif est de présenter aux citoyens l’impact du dieselgate sur leur territoire.
Quels sont les éléments nocifs
Le pot d’échappement des voitures à moteur diesel (tout comme, dans une moindre mesure, les logements, les usines ou les centrales électriques alimentées au fioul et au charbon) émet deux puissants agents polluants: des particules fines (PM 2,5) et des oxydes d’azote (NOx). Les particules fines et les oxydes d’azote sont responsables respectivement de 400 000 et de 75 000 décès chaque année, selon l’AEE.
Les véhicules diesel respectent généralement les limites des émissions de particules fines. Mais, comme le dieselgate l’a révélé, ils émettent des quantités d’oxydes d’azote bien supérieures aux limites établies en laboratoire pour leur certification environnementale. En fait, ils dépassent les limites fixées par l’UE. Cela est vrai pour les véhicules répondant aux normes Euro 4 et 5, mais aussi en partie pour les véhicules Euro 6, la norme actuellement la plus sévère.
En plus d’être nocives en soi, les émissions d’oxydes d’azote se mélangent à d’autres substances toxiques dans l’atmosphère, provoquant l’apparition d’autres particules en suspension. L’étude de l’IIASA et de MetNorway, ainsi que notre carte basée sur leurs recherches, visent précisément à souligner les conséquences pour la santé des particules fines indirectement produites par les émissions d’oxydes d’azote dépassant les limites européennes. Nous n’avons donc pas pris en compte les effets des particules fines ni des oxydes d’azote directement émis par les véhicules diesel.
Les particules fines sont le polluant le plus toxique. Une fois inhalées, les composantes microscopiques de PM 2,5, qui tirent leur nom de leur diamètre (2,5 micromètres), peuvent pénétrer les poumons et le système sanguin, provoquant ou aggravant des maladies respiratoires ou cardio-vasculaires, des tumeurs et d’autres pathologies.
« Si aucune action n’est entreprise pour mettre en conformité la flotte des voitures diesel actuelle, cet impact sur la santé va se prolonger de deux ou trois ans », affirme Jens Borken-Kleefeld, expert en transports au sein de l’IIASA.
Comment le dieselgate provoque une augmentation des décès prématurés au niveau local
“Alors que les oxydes d’azote sont essentiellement émis par les véhicules diesel, près de 75 % des particules fines présents dans l’air proviennent d’autres sources, comme l’industrie, le chauffage ou les centrales électriques, et cela, même le long des grands axes”, explique Borken-Kleefeld, expert en transports au sein de l’IIASA. “De même”, ajoute-t-il, “la part des particules fines directement émise par les voitures (17 % du total), bien que conforme à la norme, est très supérieure au taux de particules provenant des oxydes d’azote (8 %). Les particules émises directement par les voitures contribuent donc de façon significative aux dépassements fréquents des seuils d’alerte dans les agglomérations urbaines”.
Les chercheur de l’IIASA et de MetNorway ont estimé qu’il était important de quantifier les particules fines issues du dépassement des seuils fixés par l’Union européenne. Leur quantité représente moins de 1,5 % de l’ensemble des concentrations de particules fines présentes en moyenne dans les régions européennes. “Même si la quantité de particules fines générées par le dieselgate peut sembler minime, il n’y a pas de dose non toxique et toute augmentation de la pollution a des conséquences sur la santé, selon l’état actuel des connaissances”, affirme Borken-Kleefeld. “Nous avons eu une approche prudente dans le calcul de la part des particules fines attribuée au dieselgate sur la concentration totale présente dans l’air ; elle est inférieure même à celle hypothisée par l’Agence européenne de l’environnement (AEE)”. Selon Borken-Kleefeld, les recherches publiées en 2017 dans Nature et Environmental Research Letters par deux autres groupes de chercheurs ont abouti à des résultats semblables, et elles aussi partent du principe que les particules fines générées par l’excès d’oxydes d’azote sont tout aussi toxiques que celles directement produites par les différentes sources.
Afin de calculer de manière approximative combien de personnes meurent chaque année à cause des particules fines supplémentaires émises par les émissions des diesel dépassant les normes européennes dans chaque région, nous avons eu recours à ce que l’on appelle la fonction de risque, ainsi qu’elle a été développée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Selon Francesco Forastiere, épidémiologiste et consultant auprès de l’OMS, “on estime que l’augmentation du taux de mortalité va de pair avec l’augmentation de l’exposition à un type de polluant déterminé. En ce qui concerne les PM 2,5, le taux d’augmentation est de 6 % par 10 microgrammes/mètre cube (µg/m3). Pour connaître le taux d’augmentation de la mortalité imputable au dieselgate, il suffit de multiplier ce coefficient par la quantité de PM 2,5 supérieure aux concentrations qui seraient enregistrées si les émissions des véhicules à moteur diesel respectaient les limites établies par l’UE”.
C’est le même procédé que nous avons utilisé pour développer notre carte basée sur les données des chercheurs, en y ajoutant toutefois une marge d’approximation et d’erreur. “La fonction de risque de l’OMS atteint ses limites lorsqu’elle s’applique à une population inférieure à celle d’un pays entier”, explique Borken-Kleefeld: “Toutefois, ces calculs, avec toutes les incertitudes qu’ils comportent, illustrent l’ampleur de l’impact de cette pollution lorsque les limites des émissions ne sont pas respectées.”
Notre analyse a reçu des critiques positives de la part de Michael Holland, consultant en matière d’environnement pour la société britannique Ecometrics Research and Consulting: “La méthode utilisée est conforme à ce que l’on peut trouver dans les critiques de la littérature scientifique de l’OMS”, affirme-t-il. Et il ajoute que “le rapport du Royal College of Physicians and of Paediatrics and Child Health parvient aux mêmes conclusions: une augmentation de la pollution a des conséquences négatives sur la santé, et cela est particulièrement vrai pour l’exposition aux particules fines.”
Selon Borken-Kleefeld, l’intérêt ne réside pas dans les chiffres absolus, mais dans les différences relatives: “le plus grand nombre de victimes ne se trouve pas forcément aux endroits où la concentration de particules fines est la plus élevée, ni dans les régions à plus forte densité de population, mais plutôt là où existe une combinaison des deux facteurs”. C’est cette combinaison qui détermine le niveau d’exposition dans une zone géographique déterminée. Plus l’exposition est élevée, plus l’impact sur la santé sera plus important.
Dans la pratique, si l’on regarde les données sur une carte, on peut voir que les zones les plus à risque sont celle qui se trouvent dans les régions métropolitaines industrialisées. Ici, la convergence d’une population dense de salariés et un trafic important mène à une situation où les émissions de diesel provoquent les concentrations les plus mortelles de particules fines.
Pour bien comprendre le concept, il suffit de comparer les dix régions européennes les plus peuplées. Le nombre d’habitants dans les agglomérations du nord-est de Paris et de Londres est 4 et 1,5 fois supérieur au nombre d’habitants de la région formée par Monza et le nord de Milan. Or, le taux de concentration excessive de particules fines dans cette dernière est 4,5 et 6,5 fois plus élevé que celui enregistré à Paris et à Londres, respectivement. Par voie de conséquence, le nombre de décès prématurés y est respectivement 1,6 et 4,8 fois supérieur à celui recensé dans les capitales française et britannique.
La même corrélation peut être établie à l’échelle continentale. A nombre égal d’habitants (supposons 50 % de la population européenne, estimée à près de 517 millions de personnes), les régions à plus forte densité de population enregistrent moins de 60 % de l’ensemble des décès dus aux émissions supérieures aux normes de l’UE, tandis que les régions où les concentrations sont les plus élevées enregistrent un taux de plus de 80 %.
Comment nous avons créé la carte
1. L’IIASA a placé différentes grilles sur la carte de l’Europe, qu’elle a divisée en plusieurs segments rectangulaires (ou régions géographiques) de 28 km x 28 km chacune, sans tenir compte des limites officielles des villes et autres circonscriptions administratives. Le centre de chaque segment est indiqué par des coordonnées spatiales (longitude/latitude). Il y a de quatre à six segments-régions dans la grille de la périphérie pour chaque grille du centre-ville. Les grilles ayant été placées de façon purement conventionnelle, les segments-régions peuvent parfois s’étendre de la terre à la mer.
2. L’IIASA a ensuite mesuré la pollution atmosphérique pour chaque segment-région (en prenant en considération d’autres facteurs tels que la météorologie et la topologie locale), dont elle a extrait les données spécifiques pour les PM 2,5. Elle a également calculé le nombre d’habitants par segment-région. Le calcul des PM 2,5 et du nombre d’habitants permet de pondérer le niveau de concentration en fonction de la population et de déterminer ainsi l’exposition réelle, sur la base de laquelle sera calculé le nombre de décès prématurés. Pour chaque cellule, l’IIASA a enfin identifié la part de particules fines excessive générée par les émissions d’oxyde d’azote émises en violation des normes européennes. Cette part est obtenue en faisant la différence entre deux mesures: le mélange des émissions polluantes produites par toutes les sources (locales, urbaines, régionales et transfrontalières), y compris les émissions d’oxydes d’azote d’origine diesel supérieures aux normes européennes, moins toutes les émissions, y compris les oxydes d’azote d’origine diesel respectant les normes européennes.
3. En nous appuyant sur la fonction de risque de l’OMS, nous avons estimé que pour chaque microgramme/mètre cube (µg/m3) en plus de PM 2,5, le taux d’augmentation de la mortalité était de 0,62 %. Pour connaître le taux d’augmentation de la mortalité imputable au dieselgate dans chaque segment-région, nous avons donc multiplié le coefficient de 0,62 % par la fraction excédentaire de PM 2,5 résultant de la quantité de NOx hors normes.
4. Nous avons dès lors effectué un recensement des décès annuels dans chaque segment-région en nous fondant sur l’hypothèse selon laquelle le taux de mortalité dans chacun d’entre eux est identique à celui du pays d’appartenance (taux disponible dans les statistiques officielles d’Eurostat) et en le multipliant par le nombre d’habitants qu’il renferme.
5. Enfin, nous avons multiplié le nombre de décès recensés par le taux d’augmentation de la mortalité lié à la concentration excessive de PM 2,5, obtenant ainsi le nombre de décès supplémentaires, c’est-à-dire ceux que l’on peut légitimement attribuer au dieselgate dans chaque segment-région.
Cette enquête a été réalisée grâce au soutien de Journalismfund.eu