Le Royaume-Uni ressent les symptômes du Brexit
Les impacts outre-Manche de la fermeture des frontières, concomitante à la pandémie de Covid-19, sont difficiles à évaluer. Mais quelques indices permettent de dresser un premier bilan.
Le Royaume-Uni ressent les symptômes du Brexit
Les impacts outre-Manche de la fermeture des frontières, concomitante à la pandémie de Covid-19, sont difficiles à évaluer. Mais quelques indices permettent de dresser un premier bilan.
Cela fait désormais quatre mois que les frontières entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sont rétablies. Et dans un contexte marqué par la pandémie, cela ne s’est pas fait sans heurts. Côté britannique, la crise sanitaire a accentué l’impréparation aux frontières. Et côté européen, l’avance prise par le Royaume-Uni en matière de vaccination a hérissé Bruxelles, qui, en limitant les exportations vers l’outre-Manche de doses de vaccin fabriquées dans l’Union, a enfreint le traité de coopération signé fin décembre. « L’impréparation des Britanniques était prévisible et manifeste. Pour autant, l’Europe fait preuve en ce début d’année d’un rigorisme discutable, parce que voir le pays sortant de l’Union se débrouiller mieux qu’elle sur la vaccination envoie un signal politique désastreux », explique Aurélien Antoine, directeur de l’Observatoire du Brexit.
Pour rappel, une sortie sans accord du Royaume-Uni a été évitée de justesse. Il n’y aura donc pas de retour des quotas ni de droits de douane systématiques sur les échanges trans-Manche. L’accord de coopération signé fin décembre 2020 instaure toutefois un certain nombre de barrières au commerce par rapport aux avantages fournis par le marché unique. Désormais, un exportateur britannique doit, entre autres, « établir l’origine de ses biens – seuls les produits justifiant d’un contenu local suffisant bénéficient de l’exemption des droits de douane –, déclarer ses exportations aux douanes, produire des licences et certificats montrant que le produit satisfait aux règles en vigueur dans l’Union européenne, etc. », détaillent Vincent Vicard et Pierre Cotterlaz, économistes au Cépii, dans un article paru sur le site The Conversation
« La frontière [entre le Royaume-Uni et la France, NDLR] était à l’origine totalement fluide ; elle doit désormais accueillir de nombreux parkings et des arrêts pour les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires », explique Isabelle Braun-Lemaire, directrice générale des Douanes françaises, auditionnée début avril par la Commission des finances du Sénat. Les chiffres rapportés par le directeur interrégional des douanes des Hauts-de-France, Jean-Michel Thillier, font état pour le mois de mars de 17 000 contrôles sur 145 000 camions qui se sont présentés à la frontière française en provenance du Royaume-Uni, soit un taux de vérification de 15 %.
Selon les premières estimations, les exportations britanniques vers l’Europe ont chuté en valeur de 75 % en janvier 2021 par rapport à décembre 2020 pour les produits alimentaires (nourriture et boisson confondues), ou encore de 25 % dans le secteur médical. Selon le bilan global de l’Office national des statistiques britanniques, tous pays confondus, les exportations britanniques de biens ont chuté de 19 % par rapport au mois précédent, et les importations de 22 %. Mais la concomitance du Brexit et de la pandémie de Covid-19, qui a forcé le Royaume-Uni à décréter un nouveau confinement début janvier, a brouillé quelque peu les pistes et rend difficile l’isolement de l’impact du Brexit. Est-ce à dire qu’on ne connaîtra jamais l’impact du divorce entre Londres et Bruxelles ? En réalité, on peut d’ores et déjà déceler quelques indices en y regardant de plus près.
Isoler l’impact du Brexit
Pour isoler l’impact du Brexit, un économiste du Centre for European Reform, John Springford, a par exemple comparé les flux d’échanges vers et depuis le Royaume-Uni à ceux d’un groupe de pays développés ayant peu ou prou les mêmes caractéristiques économiques depuis dix ans. Résultat : le Brexit aurait réduit le commerce total de biens de… 22 %. En outre, alors que le premier confinement avait donné lieu à des baisses similaires des échanges britanniques avec l’Union et avec le reste du monde, les échanges avec le vaste monde que le Premier Ministre Boris Johnson aimerait reconquérir se sont relativement maintenus début 2021 (+ 1,7 % pour les exportations et – 12,7 % pour les importations en janvier par rapport à décembre 2020) comparé aux échanges avec l’Europe. « Le Brexit est ici une explication naturelle », conclut l’institut de recherche indépendant The UK in a Changing Europe.
Enfin, le fait que les importations en provenance de l’Union aient moins diminué (– 28,8 %) que les exportations destinées au continent (– 40,7 %) est une conséquence de l’asymétrie des contrôles qui sont entrés en vigueur de part et d’autre de la frontière. Préoccupée par la préservation du marché unique, l’Europe a instauré des contrôles douaniers dès le 1er janvier, mais pas le Royaume-Uni. Peu préparé, et souhaitant limiter les effets adverses du Brexit sur son économie déjà meurtrie, Londres a profité de la période de grâce offerte par l’accord de coopération, qui lui permettait de repousser l’instauration des contrôles jusqu’à fin mars, et a récemment rallongé unilatéralement cette période de six mois.
« On ne saurait attribuer au seul Brexit la totalité de la baisse du commerce avec l’Union européenne », nuancent toutefois Vincent Vicard et Pierre Cotterlaz. Selon eux, la focalisation sur le court terme conduit à surestimer l’impact du Brexit sur les échanges. Et ce pour plusieurs raisons. La première tient à l’effet de stockage intervenu fin 2020. « L’incertitude sur l’issue des négociations et l’anticipation des conditions d’échanges plus défavorables en 2021 ont poussé de nombreux acteurs à avancer fin 2020 des échanges initialement prévus début 2021, gonflant ainsi les échanges en novembre et décembre », expliquent les auteurs. Du fait du Brexit, l’institut statistique britannique a par ailleurs dû changer sa méthode de collecte de données des échanges de marchandises au 1er janvier, conduisant à une surestimation ponctuelle du commerce fin 2020, et une sous-estimation début 2021. Enfin, l’apprentissage des formalités douanières a pu représenter un coût d’entrée important pour les acteurs impliqués, qui se résorbera en partie au fil du temps. C’est d’ailleurs ce que suggère le rebond des exportations à destination de l’Union européenne observé en février.
Les grandes entreprises britanniques, qui échangent déjà avec le reste du monde et sont habituées à réaliser des formalités douanières, pourront en effet probablement s’accommoder de ces coûts supplémentaires. Moins les petites, note la fédération britannique qui défend l’intérêt des PME : selon un sondage réalisé en mars, un petit exportateur sur dix aurait déjà réfléchi à abandonner le commerce avec ses clients européens. Par ailleurs, pour certains produits frais qui nécessitent un transit rapide, il sera impossible de revenir à la fluidité permise par le marché intérieur européen. L’Association écossaise des fruits de mer a par exemple noté que le transport de ses marchandises vers la France prenait désormais trois jours, au lieu d’une nuit auparavant.
Si le manque de recul risque de faire aujourd’hui surestimer l’impact du Brexit, d’autres effets de long terme pour l’instant invisibles conduisent au contraire à le sous-estimer. « C’est souvent à l’occasion du lancement de nouveaux projets, et donc à un horizon temporel plus long, que les entreprises revoient l’organisation de leurs chaînes de valeur ; dans l’industrie automobile par exemple, les choix de localisation de chaînes d’assemblage interviennent principalement lorsqu’un nouveau modèle de voiture est lancé », décrivent Vincent Vicard et Pierre Cotterlaz.
Recherche partenaires…
Boris Johnson espère compenser la perte du marché européen en étant plus ouvert au reste du monde, comme il l’a rappelé lors de la présentation de sa vision du Royaume-Uni pour 2030. Pour l’instant, Londres a conclu des « accords de continuité » avec certains partenaires de l’Union (dont la Suisse, le Chili ou la Corée du Sud) représentant 13 % de son commerce total, un accord de libre-échange avec le Japon, qui compte pour 2 % du commerce britannique, et d’autres sont en cours de négociation avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou les Etats-Unis. Avec ces derniers, les négociations semblent toutefois au point mort, l’administration Biden étant pour l’instant plus préoccupée par le redressement de l’économie américaine et son positionnement face à la Chine.
« Est-ce que ces accords permettront de compenser la perte du marché européen ? Les preuves disponibles indiquent que non », tranchent d’emblée Ingo Borchert et Mattia Di Ubaldo, de l’Observatoire de la politique commerciale britannique. Notamment parce que les principaux déterminants du commerce sont la proximité culturelle et surtout géographique. « Pratiquement toute la viande que nous envoyons en Europe est faite de produits frais ou réfrigérés qui s’intègrent dans une chaîne d’approvisionnement à flux tendus. Ce commerce ne peut être répliqué avec des pays qui ne sont pas sur le pas de notre porte », s’est inquiété Nick Allen, président de l’Association des transformateurs de viande britannique.
Des pans entiers de l’économie britannique risquent d’être durablement affectés par le Brexit. Pour éviter une transition trop brutale et repenser le modèle de développement du Royaume-Uni, un soutien public aux secteurs et aux ménages les plus fragilisés semble nécessaire, n’en déplaise à Boris Johnson, convaincu que « des marchés ouverts sont le meilleur modèle pour permettre le développement social et économique de l’humanité ».