Le Portugal en panne d’investissement
La discipline budgétaire, qui avait permis à Antonio Costa de financer des mesures sociales lors de son premier mandat, handicape la croissance du pays.
Le Portugal en panne d’investissement
La discipline budgétaire, qui avait permis à Antonio Costa de financer des mesures sociales lors de son premier mandat, handicape la croissance du pays.
En poste depuis 2015, le Premier Ministre portugais Antonio Costa a de nouveau remporté les élections législatives du 6 octobre dernier. Avec 36 % des voix, il a décidé cette fois-ci de se passer de ses ex-alliés communistes et du Bloc de gauche (Bloco de Esquerda), qui lui avaient qui lui avaient permis d’obtenir une majorité pour gouverner alors que la droite était sortie en tête des urnes. Le gouvernement présenté mardi 15 octobre était donc exclusivement socialiste, et son mot d’ordre dépouillé : « la stabilité », « essentielle pour la crédibilité internationale du Portugal et pour attirer les investisseurs ». C’est sans doute au nom de cet impératif que 14 ministres ont d’ailleurs été reconduits à leur poste.
Discipline budgétaire
Rien, pourtant, n’invite à reconduire telle quelle la politique menée ces quatre dernières années. La réalité de l’économie portugaise est en effet assez éloignée du « miracle de gauche » que beaucoup y ont vu. Le principal chantier qui attend le « nouveau » gouvernement sera, à n’en pas douter, la relance de l’investissement public, dont le déficit chronique commence à se faire sentir douloureusement dans les hôpitaux et les infrastructures de transport. Au risque de gripper la reprise portugaise.
Car si des mesures sociales ont bien été prises lors de la première mandature socialiste – revalorisation du SMIC, passé de 589 à 700 euros en 4 ans, des pensions de retraite et l’élargissement des minimas sociaux –, c’est en partie grâce à la croissance économique, mais surtout en maintenant l’atonie de l’investissement public. Cette tendance avait été amorcée après la crise de 2008 par le gouvernement de centre droit de Pedro Passos Coelho. Mais Antonio Costa n’a rien fait pour l’inverser. Résultat : le Portugal est un bon élève de la discipline budgétaire européenne, ayant fait passer son solde public (c’est-à-dire la différence entre les recettes et les dépenses de l’Etat) de – 3 % en 2017 à – 0,7 % en 2018. Mais il dispose désormais disposant du plus faible montant d’investissement public par habitant en Europe. Cela n’est pas passé inaperçu des habitants des régions ravagées par les feux de forêts cet été, nombreux à dénoncer la réduction depuis 2016 des moyens accordés à la prévention des incendies.
Ce sous-investissement de l’Etat handicape la croissance du pays à long terme. Il est d’autant plus difficile à justifier que les taux d’intérêts sont historiquement faibles, et que les appels de la Banque centrale européenne se sont multipliés pour inciter les Etats, en particulier l’Allemagne, à emprunter pour investir. Le risque est également d’accentuer les inégalités. Car le peu d’investissement que consent le pays est mal réparti et bénéficie largement aux territoires côtiers, qui concentrent les investissements structurants pour l’attractivité (touristique en particulier) du pays. Pendant ce temps l’intérieur des terres voit fuir sa population, et les infrastructures et services publics se dégrader rapidement.
Un pays vieillissant
Favorable au libre mouvement des capitaux et investissements internationaux, le gouvernement Costa n’a pas non plus annoncé son intention de revenir sur le dispositif des « Visas d’or ». Ces derniers permettent aux investisseurs étrangers de bénéficier d’un permis de séjour portugais en échange de l’acquisition de biens immobiliers ou de transferts de capitaux. En 2018, d’après les données de l’institut statistique portugais, 8,2 % des ventes immobilières au Portugal ont bénéficié à des non-résidents, pour un montant correspondant à 13 % de la valeur totale des transactions. Naturellement les prix s’envolent, notamment dans la capitale, ce qui contribue à l’éviction des lisboètes du centre-ville. L’industrie portugaise n’en sort pas pour autant renforcée : les riches investisseurs étrangers préfèrent s’offrir de belles villas que de participer à la modernisation d’une industrie qui reste, selon la Coface , spécialisée dans des secteurs à faible valeur ajoutée.
Le Portugal tente également de faire revenir ses jeunes diplômés, nombreux à avoir émigré lors de la crise. Le gouvernement a présenté il y a quelques mois son programme « Regressar », qui offre 6 500 euros aux candidats au retour, s’ils sont partis avant 2016 et qu’ils ont passé plus de douze mois à l’étranger. Il va bien falloir, en effet, rajeunir celui qui est désormais l’un des plus vieux pays d’Europe alors que la part de la population âgée d’au moins 65 ans est passée de 17 à 21 % entre 2007 et 2017. Mais les salaires, relativement faibles par rapport au reste de l’UE, restent peu attractifs : ils n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’avant crise. Et si le chômage a durablement faibli (6,2 % en aout 2019), celui des jeunes avoisine toujours les 20 % (contre 15 % en moyenne au sein de l’UE). La part des salariés embauchés en CDD reste par ailleurs l’une des plus élevés d’Europe : 18,6 % en 2018, contre 11,2 % en moyenne sur le continent.
« Un investissement public bien orienté peut booster la croissance potentielle en améliorant la productivité (…). Il peut également avoir un effet d’entrainement en créant un environnement positif pour l’investissement privé », soulignait pourtant la Commission Européenne dans son dernier rapport consacré à l’économie portugaise . L’institution note bien un rebond de l’investissement depuis 2017, mais souligne surtout qu’il reste à des niveaux nettement inférieurs à ceux d’avant crise. Le ralentissement de la croissance attendu dès cette année devrait mettre encore davantage sous pression les finances publiques portugaises, face à une population dont les attentes de redistribution sont au plus haut. Le gouvernement, de son côté, entend afficher un excédent budgétaire… dès l’année prochaine !
Relever le pouvoir d’achat sans augmenter la dépense publique : si l’on l’y regarde de plus près, les contradictions portugaises sont en fait celles de l’Europe toute entière. Celle du gouvernement français, par exemple, dont le projet de loi finances pour 2020 a pour mot d’ordre « baisser les impôts, préparer l’avenir ». Les hausses de pouvoir d’achat qu’il concède se feront au prix d’une réduction des garanties fournies par la protection sociale . Une croissance durable ne saurait pourtant être atteinte qu’en combinant habilement des mesures nécessaires d’amélioration du pouvoir d’achat avec une hausse de l’investissement public. Or selon l’économiste Véronique Riches-Flores , à l’échelle de la zone euro, « le manque à gagner [en termes d’investissement public, NDLR] est quasiment de 30 % comparativement à sa tendance de 1995 à 2005 ». Conclusion : c’est sans doute en lorgnant vers Bruxelles qu’Antonio Costa pourra résoudre la quadrature du cercle de l’économie portugaise.