L’Europe passe les investissements étrangers au crible
L’Union européenne vient de se doter d’outils de filtrage des investissements étrangers, notamment pour répondre à l’offensive chinoise sur le continent.
L’Europe passe les investissements étrangers au crible
L’Union européenne vient de se doter d’outils de filtrage des investissements étrangers, notamment pour répondre à l’offensive chinoise sur le continent.
Investissements étrangers : l’Europe veut y regarder de plus près. Après plusieurs prises de contrôles étrangères d’entreprises européennes dans des secteurs stratégiques, l’Union européenne (UE) s’inquiète et veut filtrer les investissements étrangers. Dans sa ligne de mire apparaît principalement la Chine, qui a pour ambition de devenir une puissance globale. Jusque-là sans réaction, l’UE vient de se doter d’outils de filtrage des investissements étrangers. Les mesures adoptées à la suite d’un processus législatif rapide sont entrées en application mercredi 10 avril.
Ce règlement fait suite aux débats qu’avaient suscités certains rachats, par des acteurs chinois, d’infrastructures ou d’entreprises stratégiques, comme le port grec du Pirée ou la société néerlandaise Draka, spécialisée dans le câble de haute technologie. Les divisions européennes sur l’attitude à adopter étaient alors exposées au grand jour, avec certains pays favorables à des financements extérieurs et d’autres méfiants de voir passer ces actifs sous pavillon étranger. Preuve en est que seulement quatorze Etats membres se sont pour l’instant dotés de réglementation de contrôle des investissements directs étrangers (IDE). La France vient, par ailleurs, de renforcer ses outils de protection avec l’adoption, le 11 avril, de la loi Pacte. Le nombre de secteurs nécessitant une autorisation préalable du gouvernement pour un investissement étranger a notamment été élargi.
16 millions d’Européens employés d’entreprises étrangères
A la suite de demandes des gouvernements français, allemand et italien, mais aussi des parlementaires européens, la Commission s’est saisie de la question. Elle a tout d’abord procédé à l’élaboration d’un rapport sur le sujet. Publié mi-mars, ce dernier rappelle que l’Europe est la première destination des IDE dans le monde. Si seulement 2,8 % des entreprises de l’UE appartiennent à des propriétaires étrangers, elles sont bien plus grandes que la moyenne et représentent ainsi 35 % des actifs des entreprises, fournissant 16 millions d’emplois aux Européens. Cette proportion augmente, mais c’est surtout l’origine des investisseurs qui évolue.
Si la plupart (80 %) des fonds proviennent d’investisseurs traditionnels – américains, canadiens, japonais, suisses, australiens ou encore norvégiens, de nouveaux profils apparaissent. Principalement des entreprises publiques chinoises et, dans une moindre mesure, russes et émiraties. Ainsi, l’offensive d’acteurs publics ou soutenus financièrement par les Etats, pose des problématiques de respect des règles de concurrence. En effet, tous les acteurs, et notamment européens, n’ont pas accès à ces financements. Concernant la Chine, la part d’entreprises d’Etat dans les investissements en Europe est de 60 %.
L’ambition chinoise
En dix ans, la part chinoise dans les entreprises européennes sous contrôle étrangers a triplé, passant de 2,5 % à 9,5 %, quand la part nord-américaine (Etats-Unis et Canada) a diminué, de 41,9 % à 29 %. Si bien qu’entre 2007 et 2016, le nombre d’entreprises européennes contrôlées par la Chine (Hong-Kong et Macao compris) est passé de 5 000 à 28 000.
Les IDE chinois dans l’UE, qui étaient quasi inexistants avant 2005, ont même dépassé en 2016 les investissements européens en Chine, atteignant 42 milliards de dollars. Ceci s’explique par la stratégie du géant asiatique qui, pour assurer son développement économique et social, veut s’assurer de « la maîtrise de technologies émergentes, qui permettront de rattraper, puis surpasser, les pays occidentaux dans les technologies de pointe », explique Eric-André Martin dans une note du think tank de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
« Pour cela, la Chine doit notamment créer des “champions nationaux”, capables de s’affirmer dans la concurrence mondiale dans dix secteurs de haute technologie. Ces champions sont constitués par des groupes contrôlés par l’Etat », poursuit-il.
La Chine veut obtenir des transferts de technologie
Pour acquérir et développer cette suprématie technologique, le pays mise en partie sur des transferts de technologie avec des acteurs étrangers. Que ce soit en obligeant les entreprises étrangères voulant accéder à son marché à s’associer à des sociétés chinoises, et capter ainsi le savoir-faire sur leur marché domestique, ou en rachetant directement. La Chine a listé dix secteurs stratégiques high tech, si bien que chaque pays est plus ou moins exposé à l’appétit chinois.
Or, les investissements chinois se sont concentrés dans certains secteurs spécifiques. Le rapport de l’UE montre par ailleurs que les entreprises de certains de ces secteurs ont une part de propriétaires étrangers élevée. C’est le cas du raffinement du pétrole, des produits pharmaceutiques, électroniques et optiques, pour lesquels cette proportion est supérieure à 50 %. Les investisseurs nord-américains restent bien évidement sur-représentés dans ces secteurs, mais la Chine y enregistre un développement important de son investissement, alors même qu’elle était quasi-absente il y a encore une décennie.
Le développement de ChemChina est, par exemple, éclairant. Cette entreprise d’Etat, spécialisée dans la chimie, a notamment acquis le géant suisse Syngenta pour 46 milliards de dollars, ou encore le spécialiste allemand de transformation de matière plastique KraussMaffei pour un milliard de dollars.
Les instruments de filtrage dont l’UE s’est dotée suffiront-ils à faire le poids ? Il s’agit principalement de mesures de coopération et d’échanges d’informations, entre les Etats, sur la motivation et l’origine des investisseurs. Les pays européens doivent également traduire ces mesures dans leurs législations d’ici octobre 2020. Leur utilisation par les différents pays montrera s’ils sont opérants et, surtout, si l’Union arrive à adopter une attitude commune face aux ambitions technologiques et industrielles de certains pays.