Covid et prisons en France : entretien avec Dominique Simonnot
L’épidémie dans les prisons françaises a été contenue au prix d’énormes sacrifices pour la population carcérale, révélant les conséquences d’un taux d’occupation parmi les plus élevés en Europe et des mesures trop ponctuelles de libération anticipée, mise en œuvre massivement chez nos voisins. Entretien avec Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
Covid et prisons en France : entretien avec Dominique Simonnot
L’épidémie dans les prisons françaises a été contenue au prix d’énormes sacrifices pour la population carcérale, révélant les conséquences d’un taux d’occupation parmi les plus élevés en Europe et des mesures trop ponctuelles de libération anticipée, mise en œuvre massivement chez nos voisins. Entretien avec Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
Fin septembre, quelques clusters étaient encore recensés dans les prisons françaises, comme à Angoulême (40 détenus testés positifs) ou au Havre (six détenus mi-septembre). La situation est-elle globalement maîtrisée en détention ?
Dominique Simonnot : Au 26 septembre, d’après les dernières données communiquées, on dénombrait 588 cas contacts dont 198 cas de Covid-19 avérés, et trois personnes hospitalisées. En cumulé depuis le début de la crise sanitaire, cinq détenus et surveillants sont décédés et 4 872 cas ont été recensés.
Concernant le taux de vaccination des personnes détenues, nous n’avons pas de chiffres en temps réel, mais la courbe suit exactement celle de la population générale. Il existe, comme à l’extérieur, des résistances aussi bien chez les surveillants que chez les détenus.
Lors du début de la campagne de vaccination, nous avions toutefois demandé que le personnel et les personnes détenues soient vaccinés en priorité, car lorsque le virus pénètre dans un milieu clos comme la prison, la situation peut rapidement devenir catastrophique, comme ça avait été le cas à Tours au printemps dernier, où la moitié de la prison était infectée. Malheureusement, nous n’avons pas été entendus.
Aurait-on pu ou dû imposer aux surveillants, comme au personnel soignant, la vaccination obligatoire ?
D. S. : Disons qu’on veut bien accepter d’avoir 15 000 soignants en moins car ils ne sont pas vaccinés, mais je peux vous assurer que le gouvernement ne se permettra jamais de « perdre » 15 000 surveillants de prison ! C’est pragmatique.
Le ministre de la Justice s’est félicité d’une gestion maîtrisée de la pandémie dans les prisons françaises. Partagez-vous cette analyse ?
D. S. : Oui, il faut reconnaître que l’épidémie a été contenue, on ne peut pas dire le contraire. Mais à quel prix ? Le drame qu’on redoutait n’a pas eu lieu, mais avec d’énormes sacrifices pour la population pénale : arrêt des activités, ou maintien de façon très restreinte, arrêt de l’enseignement, arrêt du peu de travail qui existe en prison, etc. C’est un prix social exorbitant, surtout dans un contexte de surpopulation dans les maisons d’arrêts [établissements pour peines de moins de deux ans ou pour détenus en attente de jugement, NDLR]. Il faut s’imaginer trois personnes entassées 22h sur 24h dans une cellule de 9m², mais qui n’en fait plus que 4,5 avec le lit superposé, la table et le coin toilette.
Nous avions aussi demandé que des tests PCR puissent être réalisés à l’entrée des parloirs – qui est l’une des voies possibles d’entrée du virus. Nous recevons énormément de témoignages de détenus et de leurs proches qui ne peuvent pas se voir comme avant. Les règles sanitaires imposent par ailleurs dix à quatorze jours d’isolement à chaque retour de permission de sortie, après un parloir familial en UVF (Unité de vie familiale) ou après une extraction médicale. En conséquence, certains refusent cette dernière, avec tous les risques que cela implique sur leur santé.
Quelle est la situation aujourd’hui pour ce qui est des activités et des parloirs ?
D. S. : Certaines activités tournent encore au ralenti, mais ça reprend petit à petit, de façon très inégale selon les établissements. Dans un certain nombre de prisons, les visites au parloir sont maintenues, mais un hygiaphone assure la distance entre le détenu et ses proches, empêchant de se toucher. Dans d’autres, les parloirs ont repris normalement. La gestion se fait au cas par cas.
Qu’est-ce que le Covid a révélé sur la santé des personnes détenues et des conditions dans lesquelles elles vivent ?
D. S. : Certains détenus voient le médecin pour la première fois quand ils arrivent en prison. Dans leur majorité, les détenus sont issus de milieux pauvres et connaissent déjà des problèmes de santé. Dans les prisons surpeuplées, les conditions d’hygiène sont désastreuses, et on trouve des punaises, des cafards, etc., autant de facteurs aggravants en cas d’épidémie.
L’accès à la santé est l’une de nos grandes préoccupations. Un monsieur vient de nous écrire car il attendait un rendez-vous chez le dentiste depuis trois mois et il a fini par percer son abcès tout seul.
Quel a été l’impact de la surpopulation carcérale dans la gestion de la pandémie ?
D. S. : La surpopulation est à la fois un facteur aggravant dans la propagation du virus et une cause structurelle qui rend compliqué l’isolement des personnes contaminées. En effet, c’est généralement le quartier arrivant qui sert de sas pour isoler les détenus testés positifs, ou ceux placés en quarantaine à leur retour en détention après une permission. Mais, au même moment, dans les maisons d’arrêts, de nouveaux détenus continuent à être écroués. Les gens finissent par se mélanger, les détenus isolés depuis plusieurs jours côtoient ceux entrés la veille : c’est incohérent. Sans parler du fait que la population carcérale a du mal à comprendre des règles qui ne cessent de changer.
Je tiens à rappeler que le personnel pénitentiaire souffre également de cette surpopulation. Cela fait des mois que les directeurs de prison ne savent plus comment faire face, car ils ne peuvent pas pousser les murs. D’une certaine façon, la surpopulation est devenue encore plus visible avec la pandémie, ce qui est une bonne chose, car il est indécent de garder tant de monde en prison. Je ne comprends pas que les magistrats, à de très rares exceptions près, n’aillent jamais voir la conséquence de leurs décisions.
En mars 2020, le gouvernement avait justement mis en place une politique de libération anticipée pour endiguer l’épidémie. Plus de 13 000 détenus avaient été libérés et le taux d’occupation ramené en dessous de la barre des 100 %. Auriez-vous souhaité que cette mesure soit renouvelée ?
D. S. : Il faut faire attention car on a parlé d’un taux d’occupation moyen, mais dans beaucoup de maisons d’arrêts, il continuait à dépasser 100 %.
Bien sûr, nous avons demandé à Eric Dupond-Moretti que la mesure soit renouvelée. Hélas, nous n’avons pas été entendus. Le contexte d’année électorale dans lequel nous sommes entrés a rendu plus compliqué une telle mesure face à l’opinion publique. On a donc préféré imposer des restrictions aux détenus à l’intérieur plutôt que les laisser sortir quelques semaines plus tôt. Résultat, on est déjà remontés à 68 000 personnes détenues – pour 60 000 places –, contre un peu plus de 58 000 en juillet 2020.
Ce qu’on demande désormais, c’est qu’à chaque fois qu’un détenu entre en prison, un autre détenu sorte, après examen de son dossier par le juge d’application des peines.
Cette crise induira-t-elle un changement de politique pénale et carcérale ?
D. S. : Je l’espère encore. Des politiques volontaristes doivent être déployées à l’échelle locale, car il n’y en a pas au niveau national. A Grenoble par exemple, un accord entre la présidente du tribunal, le procureur de la République, la directrice du centre pénitentiaire de Varces et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation de l’Isère a été signé. Il prévoit que lorsque la maison d’arrêt atteint 130 % d’occupation, on arrête d’écrouer. Ils trouvent alors des alternatives aux poursuites, proposent des aménagements de peine, diffèrent les mandats de dépôt ou prononcent des libérations anticipées.
Dans le même temps, une prison comme Toulouse-Seysses connaît toujours un taux de surpopulation de 180 %. Dans de nombreuses maisons d’arrêts, la moyenne des peines effectuées demeure de quatre mois et demi, alors qu’en dessous de six mois elles devraient être aménagées, et se dérouler hors des murs. La raison profonde en est que la prison reste la peine de référence en France. La crise a été une occasion totalement manquée de mener une autre politique pénale et carcérale. C’est très décevant.