Covid-19 : la pandémie de plastique
En Europe, les années 2020-2021 devaient marquer un tournant dans la lutte contre les déchets plastiques, l’un des problèmes les plus urgents de notre siècle. C’était sans compter avec le Covid-19 : avec les masques, les gants et les emballages anti-contagion, le risque est grand d’un retour en arrière.
Covid-19 : la pandémie de plastique
En Europe, les années 2020-2021 devaient marquer un tournant dans la lutte contre les déchets plastiques, l’un des problèmes les plus urgents de notre siècle. C’était sans compter avec le Covid-19 : avec les masques, les gants et les emballages anti-contagion, le risque est grand d’un retour en arrière.
Portés sous le menton ou correctement, distribués généreusement dans les écoles et les lieux de travail, vendus partout à un prix contrôlé, les masques faciaux sont désormais omniprésents dans la vie de milliards de personnes. Un coup de vent ou un moment de distraction est suffisant à leur dispersion dans la nature, et dans les premiers mois de la pandémie, alors que beaucoup n’y avaient pas encore accès, ils étaient déjà devenus des déchets assez communs sur les plages de tous les océans.
Les équipements de protection — pas seulement les masques, mais aussi les gants, les tabliers, les visières — ne sont que l’un des facteurs qui ont fait monter en flèche la consommation de plastique en ces temps de pandémie.
La stratégie européenne concernant les plastiques
En 2018, la Commission européenne a présenté la stratégie européenne concernant les plastiques. Les mesures de la stratégie comprenaient l’amélioration de la chaîne d’approvisionnement et de la chaîne de valeur des plastiques recyclés, la réduction des déchets, notamment dans les mers, et des plastiques à usage unique, le soutien aux initiatives mondiales et multilatérales sur les plastiques. La stratégie a fixé comme objectif de garantir que d’ici 2030, tous les emballages en plastique soient recyclés ou réutilisables dans l’UE. En septembre 2018, le Parlement européen a promu la stratégie en appelant à l’introduction d’exigences minimales pour les plastiques recyclés à inclure dans les produits européens, des normes de qualité strictes et des exigences légales pour réduire les microplastiques.
Outre l’utilisation d’emballages légers, entre achats en ligne et précautions d’hygiène, les déchets hospitaliers augmentent également. Pendant ce temps, les mois de confinement ont impacté durement la chaîne d’approvisionnement du recyclage et l’effondrement du prix du pétrole nécessaire à la production de nouveaux plastiques s’est chargé du reste.
2021 aurait dû être un tournant pour l’Europe. En juillet, la désormais célèbre directive restreignant les plastiques à usage unique devait entrer en vigueur dans le cadre d’une stratégie de transition ambitieuse vers une économie circulaire. Au lieu de cela, 2021 a été l’année où l’humanité a concrétisé sa dépendance dangereuse aux plastiques, en particulier les plastiques jetables.
Des masques, partout
Personne ne sait exactement combien de dispositifs de protection individuelle ont été utilisés depuis l’arrivée du Covid-19. Il suffit de penser que le chiffre d’affaires qui tourne autour des masques faciaux a été multiplié par environ 200, passant de 800 millions à 166 milliards de dollars en un an .
Il y a quelques mois, les chercheurs estimaient qu’en 2020, environ 129 milliards de masques avaient été utilisés dans le monde chaque mois, à ajouter à d’autres dispositifs de protection (gants, visières, tabliers) qui naviguent à des chiffres plus bas, mais tout de même impressionnants. La persistance de l’urgence et l’extension à de plus en plus de pays de l’obligation de port du masque ont rendu cette estimation trop optimiste : des études plus récentes parlent de 7 milliards de masques par jour dans le monde, 210 milliards chaque mois. Le continent européen, dans son ensemble, en consomme donc environ un milliard par jour. En termes de poids (un masque pèse environ 3 grammes), rien que dans l’Union européenne, environ 1600 tonnes de masques finissent chaque jour dans les déchets.
Selon cet ordre de grandeur, on peut estimer le poids des masques utilisés annuellement dans l’Union à environ un demi-million de tonnes : un chiffre qui correspond à environ 8 % du plastique qui a fini dans les décharges ces dernières années (7,25 millions de tonnes en 2018). Si tous les masques finissaient dans les décharges (en fait, une bonne partie est incinérée) ils suffiraient, à eux seuls, à nous ramener aux niveaux d’il y a environ 10 ans.
Paradoxalement, les masques faciaux sont fabriqués en grande partie en polypropylène, un matériau recyclable, mais pour éviter le risque de contagion, ils ne peuvent pas entrer dans la chaîne de tri sélectif des déchets.
De plus, compte tenu de leur légèreté et de leur usage omniprésent, il est inévitable que certains des dispositifs de protection finissent par s’égarer dans la nature, entraînant un risque sanitaire et environnemental. Selon un rapport du WWF publié lors de la première vague, si seulement 1 % des masques étaient accidentellement dispersés dans l’environnement, cela représenterait dix millions de tonnes par mois dans les prairies, les bois, les ruisseaux et les mers. En effet, les estimations des détritus, c’est-à-dire la fraction des déchets dispersés, sont de 2 % dans les pays du nord global . Rien que dans l’Union européenne, entre 16 et 32 tonnes sont rejetées par jour.
Dès les premiers mois de 2020, il était courant de retrouver des masques usagés sur de nombreuses plages du Pacifique. Depuis, la quantité n’a fait qu’augmenter. Ils ont généralement tendance à flotter, mais les plus lourds coulent ou restent suspendus à différentes profondeurs. Les scientifiques ont déjà observé des requins, des tortues, des mammifères marins et des oiseaux qui les ont ingérés entièrement, tandis que de nombreux autres organismes sont souvent victimes des cordons élastiques utilisés pour les fixer au visage. Destinés, comme tous les plastiques qui finissent dans la mer, à se fragmenter en microplastiques (notamment en microfibres), ils pourraient finir par imprégner la chaîne alimentaire à tous les niveaux et devenir bientôt, selon certains scientifiques , la première source de débris d’ordures dans les océans. Certains finiront dans les sédiments marins, laissant peut-être un témoignage de la pandémie pour les prochaines ères géologiques.
Le nouveau boom de l’emballage
Pendant des années, les emballages ont représenté la fraction la plus volumineuse des déchets plastiques, absorbant dans l’Union européenne jusqu’à 40 % de toute la demande de plastique. Cette catégorie de déchets, malgré les nombreuses initiatives pour les limiter, s’est inexorablement développée ces dernières années. Le plastique utilisé dans les emballages (dont il est le deuxième matériau constitutif après le papier et le carton), après le coup d’arrêt dû à la crise économique de 2008, a augmenté en moyenne de 2 % par an, dépassant les 14 millions de tonnes en 2019.
Désormais, à la suite de la pandémie, l’emballage va encore progresser. Des années de sensibilisation contre les emballages excessifs, en particulier dans le secteur alimentaire, ne pourront pas agir contre la peur du virus. De tous les matériaux possibles, le plastique, perçu (plus à tort qu’à juste titre) comme plus “aseptique” et hygiénique, était la solution privilégiée.
La croissance la plus importante, cependant, viendra probablement du développement spectaculaire du commerce en ligne. Au deuxième trimestre 2020, écrit le journal Vox , les ventes numériques ont augmenté de 71 % et de 55 % au troisième.
Le taux de croissance annuel du secteur de l’emballage, selon le cabinet de conseil Markets and Markets, s’établira à 5,5 % au niveau mondial, soit plus de 100 milliards de dollars de plus qu’en 2019. Sans surprise, les emballages hygiéniques et sanitaires et les achats en ligne seront le moteur de la croissance. Il est difficile de dire combien de déchets seront produits, mais il y a fort à parier que ces chiffres ne seront pas négligeables.
L’explosion des déchets médicaux
Comme on peut facilement l’imaginer, les déchets du secteur de la santé ont considérablement augmenté depuis le déclenchement de la pandémie. Outre les déchets hospitaliers, les déchets ménagers produits par les personnes en quarantaine contribuent à gonfler les chiffres. À Wuhan, au cours des premiers mois de 2020, ils ont augmenté six fois par rapport à l’année précédente. Les pays européens ont également connu une augmentation comparable au cours des semaines suivantes. Selon l’étude précitée, 70 000 tonnes de déchets sanitaires sont actuellement produites sur l’ensemble du continent européen. Dans l’Union européenne, avec cet ordre de grandeur, nous obtenons environ 40 000 tonnes, six ou sept fois plus qu’à l’époque précédant la pandémie.
Malgré leur augmentation impressionnante, ces déchets semblent être sous contrôle, du moins en Europe ; concentrés dans certaines installations et éliminés ou incinérés dans des conditions contrôlées. On ne peut pas en dire autant de nombreux pays de l’hémisphère sud qui avaient déjà des difficultés dans la gestion des déchets. Dans de nombreux cas, la grande quantité de déchets médicaux a conduit à leur élimination dans des décharges à ciel ouvert, avec des risques pour la santé publique et de graves conséquences environnementales.
Le recyclage en crise
Alors que la demande de plastiques a grimpé en flèche pendant les mois les plus difficiles du confinement, une grande partie de la machine complexe de traitement des déchets était pratiquement à l’arrêt. D’autre part, le prix du pétrole a chuté à des niveaux historiques, rendant extraordinairement rentable la production de plastique vierge. La situation de la chaîne d’approvisionnement du recyclage en Europe semblait si mauvaise que Tom Emans, président de l’association industrielle Plastics Recyclers Europe, a déclaré que sans action au niveau de l’UE, l’ensemble de l’industrie du recyclage de l’UE risquait de fermer.
Selon une enquête de Reuters , la demande mondiale de plastiques recyclés a chuté de plus de 20 % au premier semestre 2020.
En attendant les données complètes sur toute la période, nous pouvons nous faire une idée de l’impact de la pandémie en examinant les données fournies dans le rapport italien du Recyclage de l’Unione Imprese Economia Circolare. Il indique qu’entre mars et mai 2020, 53 % des entreprises et des consortiums impliqués dans la chaîne d’approvisionnement des déchets ont signalé des réductions de la collecte sélective de plus de 20 %. Entre mai et août, la baisse encore marquée a été de l’ordre de -10 %.
Heureusement, cet aspect de la crise s’est avéré temporaire et les chiffres sont revenus à la normale au second semestre.
Donner au Covid son importance réel
Malgré les chiffres stupéfiants, il est encore tôt pour dire si, en termes absolus, les plastiques liés à la pandémie auront vraiment un impact sur les tendances des plastiques à long terme. La dernière décennie a été caractérisée par des efforts majeurs dans au moins 127 pays à travers le monde, y compris des réglementations, des interdictions et des initiatives de sensibilisation du public. Ces dernières réduisent considérablement le pourcentage de plastique destiné à l’enfouissement ou pire encore, à la dispersion directe dans l’environnement. Néanmoins, la production de polymères augmente si rapidement qu’en termes absolus, les chiffres continuent de croître, et de beaucoup. Sauf que le plastique reste là pendant des décennies.
À ce rythme, on estime que d’ici 2050, 99 % des espèces d’oiseaux marins auront ingéré du plastique, entraînant sa dispersion dans tous les écosystèmes de la planète.
L’Union européenne, qui a adopté une stratégie ambitieuse pour une transition vers une économie circulaire, est peut-être l’entité politique qui a le plus agi pour résoudre le problème des plastiques. Malgré l’augmentation globale des déchets produits, entre 2006 et 2018, le pourcentage de plastique utilisé par les citoyens qui finit dans les décharges a chuté de 44 %, passant de 12,9 à 7,25 millions de tonnes. Une partie de ce succès a cependant été obtenue grâce à l’exportation de matériaux recyclables vers d’autres pays, où les mêmes normes ne sont pas toujours garanties. La Chine, autrefois le plus gros acheteur de déchets, a fermé ses portes en 2017, et de nombreux autres pays pourraient lui emboîter le pas. Outre l’aspect éthique, il existe un amendement à la Convention de Bâle sur les déchets qui, depuis janvier de cette année, rend les critères d’exportation beaucoup plus exigeants. Il est probable que cela réduira considérablement les succès affichés jusqu’à présent, et pour cette raison, il est nécessaire de travailler de manière encore plus “urgente”.
L’héritage de la pandémie
Au-delà des chiffres, le plastique du Covid-19 a clairement montré que nous sommes à la croisée des chemins. D’une part, les pressions pour réduire ou démanteler les réglementations anti-plastiques se sont multipliées dans l’urgence. Dans de nombreux cas, les tentatives ont été couronnées de succès. La directive sur les plastiques jetables risquait également d’être reportée ou fortement édulcorée, mais est finalement restée en vigueur.
D’un autre côté, cependant, beaucoup pensent que l’expérience du Covid-19 peut nous apprendre à changer de rythme. Selon une étude publiée dans Science of the Total Environment , la pandémie devrait nous pousser à appliquer des stratégies d’endiguement de la production de plastique avec encore plus de conviction. Les efforts devraient cependant concerner la filière dans toutes ses phases, à commencer par la conception. Les nouveaux produits doivent être conçus dès le départ pour faciliter le recyclage et la réutilisation. Les plastiques non directement issus des énergies fossiles pourraient être encouragés par la recherche sur les bioplastiques, ce qui n’est pas une réelle option pour le moment. Des masques, des gants et des visières pourraient également être fabriqués avec ces matériaux.
Il est désormais clair que les stratégies de gestion du cycle des déchets doivent devenir plus flexibles et être capables de faire face à des événements imprévus à l’échelle mondiale (pas nécessairement une pandémie).
La sensibilisation du public est un autre aspect fondamental, selon les chercheurs. Cependant, on a souvent tendance à faire peser sur les consommateurs toutes les responsabilités que l’industrie et la politique ne veulent pas assumer. S’il est vrai que l’industrie des polymères investit plus que par le passé dans le plastique recyclé, en fait, elle continue d’investir beaucoup plus dans le plastique vierge, encouragée par une demande toujours croissante.
“Les consommateurs devraient préférer des alternatives durables, et en même temps celles-ci doivent être suffisamment disponibles, ce qui dépend des industries et peut être promu ou imposé par les gouvernements”, explique la chercheuse Joana C. Prata du Centre d’études environnementales et marines de l’Université d’Aveiro, Portugal.
Un événement tel qu’une pandémie nous révèle beaucoup dans un monde où les changements sont de plus en plus rapides et balayent la planète entière en peu de temps. Si nous sommes capables d’écouter.