Comment les constructeurs contournent la réglementation européenne
Un nouveau rapport indépendant révèle que les émissions polluantes des moteurs diesel n’ont, en fait, pas diminué, malgré des normes européennes de plus en plus sévères et les promesses des constructeurs de se mettre en conformité.
Comment les constructeurs contournent la réglementation européenne
Un nouveau rapport indépendant révèle que les émissions polluantes des moteurs diesel n’ont, en fait, pas diminué, malgré des normes européennes de plus en plus sévères et les promesses des constructeurs de se mettre en conformité.
Les véhicules diesel Fiat décrochent le record de pollution hors nome dans la catégorie Euro 6. Plus particulièrement, la 500X ainsi que les modèles de même cylindrée 2.0 dépassent, en moyenne, plus de 18 fois les limites imposées par la réglementation (0,080 g/km), excédant même le seuil Euro 3 (0,50 g/km).
C’est ce que révèle un nouveau rapport publié récemmentpar l’International Council for Clean Transportation (ICCT), l’organisation indépendante qui avait dénoncé en 2015 les tests truqués par Volkswagen, déclenchant l’affaire du Dieselgate qui avait secoué tous les constructeurs automobiles. Interrogée, la Fiat nous a répondu par un sec “no comment”.
Les oxydes d’azote (NOx) émis principalement par les véhicules diesel provoquent chaque année 75 000 décès prématurés dans l’ensemble de l’UE, selon l’Agence européenne de l’environnement. Une enquête récente menée par l’association milanaise Cittadini per l’aria (Citadins pour l’air) et le Département de la santé de la région du Latium a constaté le dépassement du seuil d’alerte des concentrations de NOx et en a évalué le prix : plus de 500 personnes mourront prématurément dans la seule capitale lombarde au cours de l’année 2018.
Les mesures “stop au diesel”, annoncées par la région Lombardie pour Milan et proposées également pour la ville de Rome, risquent de n’être qu’une vaste supercherie pour la santé des habitants. En effet, les plans de régulation de la circulation dans les grands centres urbains tiennent compte des émissions indiquées dans les certificats délivrés par les constructeurs, et non celles qui sont réellement émises par les pots d’échappement. Fin 2018 à Milan, les moteurs diesel Euro 3 seront interdits. Les moteurs Fiat qui, en comparaison, polluent trois fois plus, bien qu’ils soient Euro 6 sur le papier, pourront, quant à eux, continuer à empoisonner l’air impunément.
Pour le Département des transports de la région Lombardie, étendre l’interdiction aux Diesel 6 les plus polluants risque de compromettre la mobilité urbaine. “Les municipalités n’ont pas le courage d’interdire la circulation des véhicules en fonction de leurs émissions réelles, surtout après avoir incité leurs électeurs à acheter des modèles Euro 6 estimés plus propres”, commente Leo Carroll, directeur du développement international chez Hager Environmental & Atmospheric Technologies, un fabricant leader qui a mis au point un instrument pour mesurer à distance les émissions des véhicules. Ce système fonctionne à l’aide de capteurs comparables au système de vidéosurveillance mis en place à l’entrée des ZTL (zones à trafic limité), capables de photographier instantanément les niveaux d’émissions au passage de chaque véhicule à l’insu de son conducteur.
C’est une technologie similaire qu’a utilisé l’ICCT pour effectuer ses relevés et dresser le classement des plus gros pollueurs à quatre roues. Il s’agit de la première étape d’une initiative ambitieuse appelée “TRUE” (The Real Urban Emissions), destinée à renforcer la transparence des émissions dues au trafic routier.
Les mesures ont été menées indépendamment les unes des autres en Espagne, en Suède, en Suisse et au Royaume-Uni entre 2011 et 2017. Dans un premier temps, les données en provenance des différents pays ont été regroupées par marque, modèle et type/cylindrée du moteur par une équipe de chercheurs coordonnés par l’Office fédéral de l’environnement suisse (projet CONOX), qui les a ensuite transmises à l’ICCT pour une évaluation plus complète.
Une base de données sans précédent a ainsi été analysée avec plus de 4850 véhicules (à essence et diesel). Sur un total de 375 000 mesures, les 200 000 effectuées sur les moteurs diesel dressent un tableau alarmant : les émissions réelles d’oxydes d’azote n’ont pratiquement pas changé depuis le passage de l’Euro 1 à l’Euro 5 et, en moyenne, les véhicules Euro 5 comme les Euro 6 produisent des émissions cinq fois supérieures aux limites fixées.
“Certains constructeurs optimisent les véhicules les plus modernes pour qu’ils passent le test d’homologation dans l’intervalle de température établi (20-25°C), en programmant les systèmes de contrôle des oxydes d’azote de façon à ce qu’ils se désactivent lors de la conduite en conditions réelles”, explique Yoann Bernard, expert des émissions auprès de l’ICCT, faisant référence à l’étude de l’Agence française IFPEN qui, en 2017, avait déjà découvert un comportement analogue dans la Fiat 500X.
Les données de l’ICCT confirment celles recueillies par les enquêtes menées au lendemain du Dieselgate par les différents gouvernements européens et organismes indépendants à l’aide des PEMS, ou systèmes de mesure des émissions embarqués. Ce sont les mêmes dispositifs avec lesquels, conformément aux nouvelles réglementations européennes, les constructeurs doivent vérifier que les émissions (mesurées jusqu’ici exclusivement en laboratoire) ne dépassent pas non plus les seuils autorisés sur route. Cette obligation est toutefois limitée aux nouveaux modèles lancés depuis septembre 2017 et ne concernera tous les nouveaux véhicules en vente qu’en 2019. Dans le catalogue des nouveaux modèles établi par l’Automobile Club allemand ne figure même pas un diesel de marque Fiat. Un hasard ?
“Les constructeurs exploitent cette période de transition pour continuer à vendre des voitures sans pour autant réduire les émissions en excès afin de rester dans les limites autorisées”, explique Yoann Bernard qui fait pression pour qu’à l’instar de certains États américains, l’on introduise dans l’UE des contrôles à distance pour vérifier la conformité des véhicules. “Cette technologie permet de tester les mêmes modèles dans différents contextes, garantissant ainsi un résultat moyen plus représentatif que les tests effectués une seule fois dans des conditions particulières”.
https://voxeurop.eu/en/2018/cars-and-pollution-5122044