Comment la TVA freine les effets de la redistribution
En plus de peser davantage sur les pauvres que sur les riches, la TVA ralentit la réduction des inégalités, soulignent trois économistes.
Comment la TVA freine les effets de la redistribution
En plus de peser davantage sur les pauvres que sur les riches, la TVA ralentit la réduction des inégalités, soulignent trois économistes.
C’est un impôt dont on s’acquitte tellement souvent et machinalement qu’on en oublierait parfois de s’interroger sur son rôle. La TVA, la taxe sur la valeur ajoutée, est un des outils majeurs de notre système fiscal. Ce prélèvement obligatoire représente à peu près un tiers de ressources de l’Etat . Mais si cette taxe est à n’en pas douter un outil pour financer des dépenses utiles, comme l’éducation ou le logement, quelles en sont les conséquences sur les inégalités ?
Trois économistes du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) de Sciences Po Paris viennent de publier une étude pour répondre à la question : « La TVA réduit-elle l’efficacité des systèmes socio-fiscaux de redistribution ? ». Julien Blasco, Elvire Guillaud et Michaël Zemmour ont comparé la proportion de revenu que consacrent les ménages à cette taxe en fonction de leur niveau de richesse. Le résultat est sans appel :
En France, « les ménages les plus pauvres paient plus de 20 % de leurs revenus en taxes à la consommation, alors que ces dernières représentent en moyenne moins de 10 % du revenu des ménages les plus aisés. »
En effet, si la TVA applique un même taux à tout le monde peu importe son niveau de richesse, tous les ménages ne consacrent pas la même part de leur revenu à consommer. Plus on est riche, plus la proportion allant à la consommation décroît. Les plus pauvres utilisent l’entièreté de leur revenu pour consommer. Ils vont même parfois jusqu’à s’endetter ou à puiser dans leurs faibles matelas d’épargne.
A l’inverse, les plus riches n’investissent qu’une part de leurs revenus dans la consommation et épargnent le reste. Les 10 % les plus aisés « consomment en moyenne 50 % à 60 % de leur revenu », précisent les auteurs à propos de leur échantillon de 26 pays, comprenant principalement les Etats européens, les Etats-Unis ou encore l’Australie.
Ainsi, logiquement, les plus pauvres réalisent un effort plus important, eu égard à leurs moyens, que les riches.
C’est l’une des différences essentielles entre les impôts proportionnels et ceux progressifs. Dans le premier cas, le taux est le même pour tous, peu importe les revenus. L’idée est que chacun doit payer la même proportion. Dans le second cas, le taux augmente avec le niveau de richesse afin que les plus fortunés fassent un effort plus important.
L’impôt sur le revenu est basé sur ce second modèle. Plus on gagne d’argent, plus la part que l’on verse à l’Etat est importante. La TVA est un impôt proportionnel, chacun versant théoriquement la même part. Mais comme la base taxable, qui est la consommation, ne représente pas la même part du revenu selon le niveau de richesse, les auteurs écrivent que cet impôt revêt donc un caractère régressif. Autrement dit, à l’inverse d’un impôt progressif, la TVA touche, en proportion de leur revenu, davantage les pauvres que les riches. Une taxe injuste, diront ses détracteurs. Et ce, depuis longtemps.
L’un des apports de la note des trois économistes est de quantifier l’effet de la TVA sur la redistribution, objectif même de la fiscalité, qui consiste à prélever des taxes et impôts et à verser des prestations sociales. C’est un formidable outil pour diminuer les inégalités. Comme Alternatives Economiques le rappelle régulièrement , l’écart de revenu entre les 10 % les plus pauvres et les plus riches passe de 24 à 6, avant et après redistribution, en France. Or, la TVA, en prélevant une part plus importante du revenu des pauvres par rapport à celle des riches, diminue cet effet.
« Les taxes à la consommation annulent un tiers de la réduction d’inégalités permise par les impôts directs, cotisations sociales et prestations sociales monétaires », écrivent les auteurs à propos de leur échantillon de 26 Etats. Tous les pays sont touchés par ce phénomène, seule l’intensité varie, selon le taux de TVA appliqué. En France, celui-ci est fixé à 20 % (avec des taux réduits à 5,5 % pour l’alimentaire et à 10 % pour des travaux d’amélioration par exemple) et efface un quart des effets de la redistribution.
Cela ne signifie pas pour autant que si l’on supprimait la TVA, les inégalités économiques régresseraient. Cette taxe finance des biens et services qui visent à diminuer l’écart entre les riches et les pauvres, mais son mode de prélèvement bride cette efficacité. L’idée est donc plutôt de s’interroger sur le mode de prélèvement des impôts pour que celui-ci participe à la réduction des écarts de revenu et de patrimoine entre contribuables. L’une des méthodes consiste à augmenter la part des impôts progressifs dans l’ensemble des prélèvements obligatoires.