Comment l’UE peut-elle améliorer son intervention au Sahel ?
L’UE soutient un bon nombre d’initiatives visant à garantir la sécurité dans cette région où la stabilité politique et les populations sont menacées par l’omniprésence des militants islamistes. Elle pourrait commencer à jouer un rôle décisif dans le maintien de la paix, si elle se dote d’une véritable stratégie.
Comment l’UE peut-elle améliorer son intervention au Sahel ?
L’UE soutient un bon nombre d’initiatives visant à garantir la sécurité dans cette région où la stabilité politique et les populations sont menacées par l’omniprésence des militants islamistes. Elle pourrait commencer à jouer un rôle décisif dans le maintien de la paix, si elle se dote d’une véritable stratégie.
« Le verre est à moitié plein, c’est une situation complexe et nous avons encore beaucoup à faire mais je suis persuadée que nous sommes sur la bonne voie. » Le 16 février dernier lors de la conférence de sécurité de Munich , la ministre des armées, Florence Parly a déclaré que la présence de la France dans les pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Tchad, Niger et Burkina Faso) améliorerait les conditions de sécurité dans la région.
Plus de six ans après l’intervention des troupes françaises au Mali pour stopper l’avancée des militants islamistes sur la capitale Bamako (opérations Serval et Barkhane), au cours des douze derniers mois, les régions septentrionales du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont été frappées par des attentats faisant de nombreuses victimes.
Le 3 avril 2019, l’agence d’Amaq de l’État islamique a publié sa première vidéo sur une attaque présumée contre les troupes françaises intervenant à la frontière séparant le Mali du Niger. Lors de la conférence de sécurité de Munich, le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, Mamadou Alpha Barry, a déploré l’instabilité croissante de la région et a constaté que les fonds promis aux forces armées du G5 Sahel (G5S) n’avaient pas encore été versés. En raison de ses liens coloniaux historiques dans la région, la France a laissé environ 4 500 soldats, tout en faisant pression pour obtenir la création d’une armée composée de soldats du G5S afin de combattre l’extrémisme djihadiste. L’impact de la force conjointe du G5 a été réduit non seulement par le manque de ressources mais aussi par une mauvaise coordination entre les cinq pays africains.
En septembre 2017, l’Italie et le Niger ont également signé un accord pour développer une coopération bilatérale sur les questions de sécurité : sauf que cet accord, qui devait traiter uniquement des afflux de migrants, va apparemment aussi bénéficier à Léonardo, le groupe industriel italien de la défense, selon une révélation de la loi sur la liberté de l’information en février 2019. Ce type d’accord n’a pas besoin d’être ratifié et n’est donc par conséquent pas soumis au contrôle parlementaire, facilitant les mesures gouvernementales relatives aux opérations de sécurité dans le Sahel. La mission italienne sera basée à Niamey – un positionnement qui avait auparavant été bloqué par la France à cause d’un conflit avec Rome sur l’influence exercée dans la région.
La mission de maintien de la paix des Nations Unies appelée MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali) est composée de 10 000 soldats et 2 000 officiers de police. Pour finir, l’Allemagne est également présente dans la région avec ses drones de surveillance Heron. Pour ce qui est des États-Unis, leur base aérienne 201 d’Agadez (Niger), futur centre pour les drones armés et autres avions, ne sera pas construite avant mi-2019. La base aérienne 201 sera une enceinte au milieu du désert mesurant deux fois la taille de la ville d’Agadez, composée de trois grands hangars et accueillant à terme la mission américaine des drones armés au Niger opérant actuellement depuis Niamey.
Un rapport préparé en 2018 par le Guardian soutient que la présence militaire étrangère a eu un impact négatif sur la liberté d’expression et que beaucoup de dirigeants de l’opposition regrettent le manque de contrôle du Parlement lorsque la présence étrangère est autorisée.
L’évolution des conflits dans la région témoigne d’un basculement dans les méthodes de combat, les outils opérés à distance étant dorénavant privilégiés aux troupes sur le sol. Le paradoxe est évident : les puissances étrangères de la région restent interventionnistes mais elles refusent d’assumer les coûts humains. Une étude très récente réalisée en septembre 2018 par l’Oxford Research Group au Mali et au Kenya rend le problème plus complexe en expliquant comment le vide politique observé dans les capitales a conduit à la coordination désordonnée des troupes au sol : au Mali « il y avait un contingent limité d’hommes éparpillés entre les diverses opérations militaires internationales menées par l’UE, l’ONU et la France sans qu’on ait une idée claire de comment toutes ces initiatives pouvaient conduire à un renforcement durable des capacités de leur partenaire malien ». De plus, le commandement considère trop souvent que le personnel au sol est moins important dans le processus décisionnel car ce sont les capitales qui détiennent l’autorité politique, ce qui conduit à un fossé stratégique sur le long terme. Certaines tactiques peuvent s’avérer rapides et efficaces à court terme (comme l’idée de former des soldats appartenant à une certaine ethnie), mais elles peuvent créer des problèmes supplémentaires sur le long terme dans un pays déjà rongé par les conflits ethniques.
L’Union européenne est le médiateur idéal dans cette région, notamment en raison de la perception qu’en ont certains Etats membres. Andrew Lebovich affirme que certains de leurs responsables politiques pensent que c’est entre autres dans le Sahel que se joue l’avenir du projet européen et considèrent la stabilisation de la région – en particulier par le biais d’initiatives empêchant la migration et supprimant les menaces terroristes – comme un élément clé de la lutte contre le nationalisme populiste dans leurs pays respectifs.
L’UE mise de plus en plus sur ses résolutions pour sécuriser la région, en réponse à une succession d’événements perturbateurs comme la rébellion des Touaregs au Nord du Mali, l’occupation terroriste de cette zone qui s’en est suivie et la crise migratoire qui traverse l’Europe depuis 2015 (même si les Européens se sont préoccupés de la région dès 2008, voire avant). Les dirigeants européens peuvent se targuer d’avoir été les premiers à constater que cette région serait centrale et d’avoir déployé des forces très tôt.
L’UE finance un certain nombre d’initiatives relatives à la sécurité : elle a déjà débloqué 100 millions d’euros pour créer la force conjointe du G5S dirigée par les Africains qui a pour objectif d’améliorer la sécurité dans la région et de combattre les groupes criminels et terroristes. En juillet 2017, la France, l’Allemagne et l’UE (rapidement suivies par la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le PNUD, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni, parmi tant d’autres) ont lancé l’Alliance Sahel, une initiative ayant pour but de régler le problème de l’insécurité via des projets de développement et l’instauration d’une paix durable. L’alliance considère la sécurité intérieure comme un principe fondamental et se concentre ainsi sur les menaces transnationales comme le terrorisme, le trafic et le crime organisé.
L’UE est elle-même un des acteurs contribuant à la sécurité au Sahel avec trois missions de politiques communes de sécurité et de défense (PCSD) : EUCAP Sahel Niger, EUCAP Sahel Mali ainsi que la mission de formation EUTM au Mali. Le Conseil a prolongé le mandat de la mission EUCAP Sahel Mali jusqu’en janvier 2021 et lui a alloué un budget de presque 67 millions d’euros. De plus, l’UE prévoit de mettre en place une quatrième mission PCSD dans la région dans les années à venir. Elle consacre également 400 millions d’euros aux programmes encourageant la stabilité et le développement dans la région. Par exemple, en 2017, l’UE a créé une mission de stabilisation dans une zone limitée au Mali qui avait pour rôle de conseiller les autorités maliennes à Mopti et à Ségou sur les problèmes liés à la gouvernance. Elle soutient également la planification et la mise en place de mesures par les autorités maliennes visant à rétablir l’administration civile et les services fondamentaux dans la région. Cette équipe a également pour objectif d’encourager un véritable dialogue entre les autorités maliennes et les communautés locales.
Cependant, les interventions de l’UE sont soumises à la pression politique des Etats membres et ne parviennent donc pas toujours à s’adapter aux conditions sur le terrain, ce qui peut conduire à une instabilité sur le long terme dans la région.
Ces interventions risquent aussi d’engendrer des procédures bureaucratiques complexes et inefficaces. La force conjointe du G5 Sahel va vraisemblablement se transformer en un autre dispositif de sécurité, ce qui risque d’aggraver encore plus la situation dans la région : l’UE devrait plutôt concentrer ses activités sur les civils plutôt que sur les militaires afin de gagner la confiance des populations locales et recueillir des informations essentielles. L’UE doit également faire face aux intérêts contradictoires des Etats membres et au recoupement de leurs missions et programmes d’aide, que ce soit la mission française Barkhane ou le récent déploiement italien, le tout couplé à une présence à distance américaine croissante.
Du point de vue des populations locales, la présence de l’UE sur le terrain est plus adaptée que celle des autres troupes étrangères : le gouvernement nigérien a reconnu la valeur de la mission EUCAP Sahel Niger et s’est adapté progressivement à celle-ci, en augmentant notamment sa participation. Ce changement d’attitude pourrait être dû à la crise migratoire européenne qui a montré aux gouvernements locaux que l’intérêt européen dans la région dépendait grandement de l’urgence de la situation, permettant aux régimes autoritaires de la région de formuler des exigences : en effet, les élites des pays partenaires comme le Niger ont montré qu’elles avaient appris à tirer parti des demandes européennes.
En ce qui concerne la guerre européenne à distance dans la région et les changements plus que nécessaires dans la réglementation, le nouveau Fonds européen de la défense (associé à la Facilité européenne pour la paix) permettrait à l’Europe d’avoir un impact positif sur la région. Acheter et utiliser des drones armés pourrait en être un exemple : comme la répartition du Fonds européen de la défense ne sera pas décidé par les Etats membres, tels que la France ou l’Italie qui déploient déjà ou déploieront des drones dans la région, mais par voie d’une prérogative européenne, Bruxelles devrait se concentrer sur le moyen de réglementer de telles missions en obtenant une politique commune européenne des drones armés. De cette manière, l’UE aurait son mot à dire sur la façon dont de telles armes sont déployées pour ne pas tomber dans le piège américain d’une guerre à distance sans fin.
De plus, la stratégie européenne pour le Sahel est centrée sur l’idée que la sécurité, le développement et la gouvernance sont étroitement liés. La stratégie de l’UE présente quelques concepts positifs et innovants pour sécuriser les zones en proie à des conflits où une approche militaire n’est pas suffisante pour rétablir la sécurité. Le Conseil européen a autorisé la création d’une cellule de coordination régionale (CCR) appartenant à la mission EUCAP Sahel Mali. Cette cellule inclut un réseau de sécurité interne et d’experts en défense déployés au Mali mais aussi dans les autres pays du G5 Sahel où des délégations européennes sont présentes. La structure de commandement et de contrôle du CCR sera déplacée de Bamako à Nouakchott et son réseau d’experts du PCSD sera élargi.
Le CCR soutiendra les structures et les pays du G5S en donnant des conseils stratégiques. L’objectif de la cellule consistera à renforcer les capacités nationales et régionales du G5S, en particulier en supportant l’opérationnalisation des forces conjointes des armées et de la police.
L’EUCAP Sahel Mali et l’EUCAP Sahel Niger pourront conduire des activités ciblées de conseil et de formation stratégique du personnel dans les autres pays du G5S. Le Conseil européen envisage de transférer les fonctions du centre de coordination de Bruxelles vers les structures du G5S sur le moyen à long terme.
Le centre de coordination est un mécanisme qui fonctionne sous la responsabilité du personnel militaire de l’UE depuis novembre 2017 et qui offre un aperçu des besoins de la force conjointe du G5S ainsi que des possibilités de soutien militaire des Etats membres de l’UE et des autres donateurs. En d’autres termes, c’est un forum qui permet de faire correspondre les offres aux besoins.
Cependant, pour éviter tous les problèmes cités précédemment, l’UE devrait s’assurer d’avoir des procédures claires qui seraient non seulement bénéfiques à sa propre mission, mais aussi aux autres forces armées étrangères et régionales. Son recentrage sur la sécurité et la défense et son regain d’intérêt pour le Sahel sont de bonnes raisons d’assumer la responsabilité de toutes les troupes étrangères opérant dans la région. Pour éviter de faire des efforts en doublons, de créer des structures non-coordonnées encore plus grandes et de passer auprès des locaux pour une force armée étrangère qui ne se préoccupe que de ses propres intérêts, l’UE doit assurer la coopération non seulement entre ses missions dans la région mais aussi avec les autres acteurs de la sécurité. De plus, elle devrait rajouter une dimension civile claire et conséquente à ses missions pour s’assurer que la gouvernance et le développement jouent un rôle plus important dans sa stratégie. Pour ce faire, elle pourrait commencer par encourager une réforme du système de sécurité dans les zones dans lesquels elle intervient.
L’UE devrait aussi fixer un calendrier précis ainsi que des objectifs variés et complémentaires durant toutes les phases en portant une attention particulière aux moments initiaux et finaux. Cela éviterait de commettre des erreurs, telles que la création de fractures communautaires comme celles observées dans l’armée britannique, et de répéter celles déjà commises par l’instauration d’un meilleur mécanisme de reporting en interne et avec Bruxelles.
Pour finir, l’UE devrait avoir un rôle positif dans la communication non seulement avec les différents acteurs militaires et institutionnels de la région mais aussi avec les communautés locales et les acteurs de la société civile. L’UE peut y parvenir d’une manière beaucoup plus efficace que les autres acteurs grâce à ses liens avec les missions des Etats membres, sa réputation non-entachée par le colonialisme et le néocolonialisme, et ses ressources.
Pour résumer, le Sahel fait face à une insécurité grandissante causée par les menaces criminelles et terroristes, et en conséquence il reçoit de plus en plus de ressources et de personnel de certains États membres de l’UE, des Nations Unies et des États-Unis. Cette situation, loin d’être stable et mal-perçue par les communautés locales, court le risque d’exacerber davantage les tensions actuelles. Les missions et les fonds européens pourraient cependant permettre d’éviter les erreurs liées à une mauvaises gestion ou coordination entre les troupes locales et étrangères. L’UE devrait utiliser les leviers dont elle dispose pour faire respecter la devise du G5 Sahel : « sécurité et développement ».