Brexit : comment les entreprises se préparent à un no deal
Sans accord, il sera très compliqué de commercialiser sur le continent les voitures, médicaments ou encore les moutons du pays de Galles. Les entreprises de ces secteurs tentent de s’y préparer comme elles le peuvent.
Brexit : comment les entreprises se préparent à un no deal
Sans accord, il sera très compliqué de commercialiser sur le continent les voitures, médicaments ou encore les moutons du pays de Galles. Les entreprises de ces secteurs tentent de s’y préparer comme elles le peuvent.
Cela paraît décidément très mal engagé. A quatre semaines de la fin de la période de transition, Michel Barnier, le négociateur pour l’Union européenne (UE) dans les pourparlers sur le Brexit, a déclaré aux 27 Etats membres qu’ils devaient se préparer à un no deal (une sortie sans accord).
Les principaux points de blocage entre Londres et Bruxelles sont toujours les mêmes : l’accès des Européens aux eaux territoriales britanniques, les règles de concurrence équitable et les moyens de gérer les conflits à l’avenir. Les entreprises britanniques, au désespoir, les avaient pourtant suppliés au cours des dernières semaines de négocier un accord de libre-échange, soit une circulation des marchandises sans tarifs douaniers et sans quotas.
Délocalisations dans l’automobile ?
Le secteur automobile notamment, qui pourrait être parmi les plus touchés, avait déjà écrit en septembre une lettre conjointe avec les autres organisations européennes pour alerter sur les dangers, des deux côtés de la Manche, d’une sortie sans accord. « Un no deal serait une menace pour un secteur qui représente au total 14,6 millions d’emplois britanniques et européens », avaient-elles mis en garde.
Deux mois plus tard, alors que la date limite du 31 décembre se rapproche dangereusement, la Society of Motor Manufacturers & Traders (SMMT), l’organisme de représentation du secteur automobile britannique, avait à nouveau haussé la voix lors de son dîner annuel le 24 novembre : « L’absence d’un accord de libre-échange pourrait entraîner des pertes allant jusqu’à 55 millions de livres (60 millions d’euros) dans les cinq ans à venir. »
En cause, les droits de douane de l’UE appliqués aux pays tiers, qui pourraient s’élever, pour les voitures, à 10 %. Soit une catastrophe pour un secteur déjà lourdement frappé par la pandémie. « Notre industrie peut apporter la croissance en matière d’emplois dont nous avons tant besoin et aider à reconstruire notre économie dévastée, mais nous avons besoin du gouvernement pour nous aider à créer l’environnement de ce succès », avait ainsi plaidé le président du SMMT George Gillespie.
En raison de cette incertitude, des firmes comme Peugeot ont suspendu leurs investissements au Royaume-Uni. « Le nouveau modèle Astra de Vauxhall (filiale du constructeur français, ndlr) par exemple, qui aurait dû être mis sur le marché en 2021, est mis en attente. Dans le cas d’un no deal, l’entreprise a déjà annoncé qu’elle délocaliserait sa production en Europe du Sud », indique David Bailey, chercheur à l’institut de recherche indépendant The UK in a Changing Europe.
Pour autant, un deal ne va pas tout résoudre, loin s’en faut. D’importants retards dans les chaînes d’approvisionnement sont à prévoir, quoi qu’il arrive, en raison des nouveaux contrôles aux frontières pour tous les biens exportés ou importés en Grande-Bretagne. Comme l’UE et le Royaume-Uni semblent plutôt se diriger vers un accord minimaliste, les transporteurs devront désormais se prémunir d’autorisations spécifiques pour certaines catégories de marchandises, comme les produits industriels, qui devront désormais être en conformité avec les normes des deux blocs.
A partir du 1er janvier, toutes les marchandises devront être déclarées en douane, même en l’absence de tarifs. Le HRMC, l’équivalent du Trésor public, a déjà annoncé que le nombre de déclarations en douane devrait bondir de 55 millions actuellement par an à 270 millions en 2021. Enfin, même en cas d’accord, les entreprises devront prouver que leurs marchandises ont bien été fabriquées au sein du pays exportateur pour bénéficier de droits de douane réduits ou à taux zéro.
Résultat, des kilomètres de camions patientant dans les ports de Douvres et Calais sont attendus. Dans un document publié fin septembre et intitulé « Le pire scénario raisonnable », le gouvernement de Boris Johnson a reconnu que près de 7 000 camions allaient potentiellement stationner dans le Kent, ce qui équivaudrait à parfois deux jours de retard.
« Pour le secteur automobile, dont toute l’organisation est basée sur le “juste-à-temps”, c’est un désastre. Certaines entreprises, comme Jaguar Land Rover, ont bien tenté de faire des stocks, mais ces derniers ne permettent de tenir qu’un seul jour », souligne David Bailey.
Des stocks de médicaments
Pour le secteur pharmaceutique, les mêmes problèmes se posent, avec des conséquences potentiellement plus dramatiques, puisque des retards à court terme dans l’approvisionnement des médicaments pourraient avoir lieu. Certes, les entreprises du secteur ont, elles aussi, prévu des stocks afin d’éviter des pénuries au lendemain du 31 décembre, mais cela risque d’être insuffisant.
Car pour le moment, aucun « accord de reconnaissance mutuelle » n’a été conclu entre le Royaume-Uni et l’UE, ce qui signifie que les médicaments vont devoir être certifiés et testés à chaque passage de frontière. Or, tous les mois, près de 45 millions de boîtes de médicaments quittent le Royaume-Uni pour l’Europe tandis que 37 millions sont convoyées dans l’autre sens. Devoir les tester à chaque fois pourrait conduire à des retards de six semaines, alertait en septembre The Association of the British Pharmaceutical Industry (ABPI).
Dans un contexte de pandémie, de tels retards pourraient être donc préjudiciables pour les 500 millions de patients européens. L’absence d’accord ou la ratification d’un accord minimaliste ne réglant pas ces problèmes de certification, « arriverait au pire moment, en plein milieu d’une deuxième vague de Covid-19 et de l’hiver le plus compliqué auquel auront à faire face les services de santé », affirme de son côté la British Medical Association (BMA).
Pour autant, un accord de « reconnaissance mutuelle » des médicaments n’est pas près de voir le jour. Mark Dayan, analyste politique au sein du Nuffield Trust, un think tank indépendant sur les questions de santé, déclare que « d’après ce qui nous a été rapporté, Bruxelles ne voudrait pas d’une reconnaissance mutuelle des médicaments dans la mesure où cela ne profiterait pas à l’industrie pharmaceutique européenne. Mais c’est un argument dangereux, car ce serait avant tout les patients qui en feraient les frais. »
Un secteur agroalimentaire désemparé
Dans le secteur de l’agro-alimentaire, c’est également l’affolement. A l’heure actuelle, les agricultures du Royaume-Uni et de l’UE sont intrinsèquement liées. Côté britannique, l’UE est en effet le principal partenaire commercial, représentant 70 % des importations du pays et 60 % de ses exportations. Or, dans le cas d’un no deal, les produits de l’agriculture britannique seraient soumis aux tarifs douaniers de l’UE, qui sont fort élevés dans ce domaine. Dans un article paru en mars, la chercheuse Ludivine Petetin écrivait déjà que « les secteurs dans lequel le pays est un exportateur net, tels que le mouton et l’orge, en souffriraient le plus ».
Des produits, comme l’agneau du pays de Galles, pourraient, par exemple, coûter deux fois plus cher aux consommateurs européens dans le cas d’un Brexit sans accord. « Pour les entreprises concernées, ça veut dire trouver des solutions pour vendre au niveau national ou identifier d’autres opportunités à l’étranger. Mais pour les petites structures, ce sera très compliqué. Ces dernières sont actuellement dans l’expectative, elles ne savent pas quoi faire », explique-t-elle aujourd’hui.
A l’instar d’autres secteurs économiques, l’agriculture va également souffrir des montagnes de formalités et de contrôles désormais applicables à la frontière. Sans accord étendu, ces blocages seront d’autant plus importants que les produits alimentaires, les plantes et les bêtes doivent être certifiées aux normes sanitaires, phytosanitaires et vétérinaires de l’UE.
En pratique, cela signifiera se soumettre à des contrôles physiques, ce qui devrait causer, là encore, d’importants retards d’approvisionnement. Pour le moment, le Royaume-Uni a annoncé qu’il se donnait jusqu’à juillet prochain pour mettre en place tous ces contrôles et se doter des infrastructures nécessaires.
De son côté, l’UE, pourrait, en revanche, appliquer des contrôles stricts dès le 1er janvier. Un rapport paru le 6 novembre du National Audit Office, un organisme parlementaire indépendant, pointe néanmoins qu’à l’heure actuelle, il est très improbable que les entreprises britanniques soient prêtes à temps.